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Réseaux - Liaison ferroviaire Lyon-Turin : la balle est dans le camp des Etats

L'appui politique de François Hollande et Mario Monti facilite la construction du tunnel transalpin pour le passage du TGV. Mais les financements communautaires qu'ils réclament sont paradoxalement tributaires des coupes qu'ils infligent au budget européen des transports.

L'épopée du Lyon-Turin est devenue aussi sinueuse que les vallées alpines qu'il est censé traverser. Depuis vingt ans, les rendez-vous politiques s'égrainent pour affirmer l'importance du projet. Dès 1994, l'UE l'inscrit parmi ses axes de financements prioritaires pour relier la capitale rhônalpine à Trieste. Un tronçon qui s'est depuis fondu dans un corridor plus large afin de jeter un pont ferroviaire entre Lisbonne et les portes de l'Orient, à Kiev.
La liaison transalpine, qui promet aux voyageurs de rallier Lyon à Turin en deux heures tout en améliorant les capacités du fret de marchandises, est cependant tributaire du franchissement souterrain du massif montagneux. Le sommet franco-italien du 3 décembre a été l'occasion de matérialiser, du moins verbalement, le lancement du tunnel, sans cesse déstabilisé par les contraintes financières et les dénonciations publiques émanant de collectifs écologistes ou agricoles.

Percée de 9 km

Dans leur déclaration conjointe, le ministre des Transports français Frédéric Cuvillier et son homologue italien Corrado Passera annoncent "l'engagement des procédures pour le lancement du marché de réalisation des travaux de creusement de la galerie de reconnaissance". Derrière le jargon du génie civil se dresse une réalité bien concrète : "Le percement de 9 km de l'un des deux tubes du tunnel, d'une longueur de 57 km chacun", explique Marc Lavedrine, délégué général du Comité pour la liaison européenne transalpine. Les travaux débuteront dans la vallée de la Maurienne, à St Martin la Porte.
Côté italien, les équipes n'ont pas bouclé les ouvrages préliminaires à la percée horizontale. Le manque de concertation locale a fait le lit d'un mouvement farouchement hostile au projet, baptisé "No Tav" (Non au TGV, ndlr), et le tracé a été revu de fond en comble. "Il n'y a pas un mètre du plan qui corresponde à ce qui avait été imaginé en 2006", relève Marc Lavedrine.
Malgré la disette budgétaire, l'élan politique de Paris et Rome tourne la page sombre écrite cet été par la Cour des comptes. Dans un référé daté du 1er août, les magistrats ont préconisé une modernisation de la ligne ferroviaire existante (perchée à 1.300 mètres) plutôt que la construction d'un tunnel, jugée trop onéreuse et peu rentable.

Les transports, variable d'ajustement du budget ?

Convaincue du bien-fondé du projet, la Commission européenne a voulu faciliter l'amorçage en octroyant une subvention de 662 millions d'euros au Lyon-Turin. Un tiers a été utilisé pour les études de reconnaissance géologique et la somme restante permettra d'engager les premiers travaux "dès 2013-2014", espère-t-on à la région Rhône-Alpes. "Il ne faut pas laisser retomber le soufflé."
Malgré la détermination politique, la prudence domine. Première raison invoquée, l'attente d'une "confirmation" du niveau de la contribution européenne, peut-on lire dans la déclaration franco-italienne. Pour parvenir à porter la participation de l'UE à 40% du coût du tunnel, soit 3,4 milliards d'euros, "l'Italie et la France" doivent continuer "leur travail de conviction", veut croire François Hollande.
Dans les faits, l'obstacle le plus redoutable à franchir n'est pas érigé par la Commission européenne, mais par les Etats. La France a fait le choix de la politique agricole commune, qui lui garantit une manne annuelle de 10 milliards d'euros, et de la politique de cohésion, qui lui permet de ne pas se mettre les Etats de l'Est à dos.
Elle a en revanche invoqué à plusieurs reprises la nécessité de couper dans les dépenses dites de compétitivité, qui incluent l'outil de financement des transports européens ("mécanisme d'interconnexion"). "Si la variable d'ajustement n'est pas la PAC, si ce n'est pas les fonds cohésion, ce ne peut être que les politiques de croissance, l'administration et la politique extérieure", avait fait savoir le chef de l'Etat lors du sommet européen des 22 et 23 novembre.

Sincérité

Dans ses propositions initiales, la Commission européenne comptait affecter 50 milliards d'euros aux grands projets d'infrastructures pour 2014-2020, dont 31 milliards pour les transports. Une enveloppe dans laquelle la présidence chypriote avait donné de grands coups de canif, avant que le président du Conseil européen Herman Van Rompuy ne reprenne la main.
Dans sa dernière proposition, le Belge suggère d'affecter 26,9 milliards d'euros aux transports. Au global, le fonds pour les infrastructures atteindrait 41,2 milliards. Classé parmi les projets-phares, le Lyon-Turin pourra être financé par l'UE, mais l'inconnue repose sur l'ampleur de cette aide. "Un co-financement de 40% pourrait venir du budget européen, a assuré Helen Kearns, porte-parole du commissaire aux Transports au lendemain des déclarations de François Hollande et Mario Monti, mais cela dépend d'un soutien très fort des dirigeants français et italien" pour l'outil de soutien aux interconnexions. "Il s'agit d'un fonds très important", a-t-elle rappelé.
Les choix que feront les 27 Etats début 2013 refléteront le degré de sincérité de leur engagement pour la croissance, comme pour l'environnement. Un assèchement des crédits alloués aux transports ferroviaires contribuerait de fait à maintenir le règne du camion et les obstacles aux échanges économiques.