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Climat et Résilience : renforcement de la protection judiciaire de l'environnement et nouvelles mesures sur l'évaluation climatique

Si l'arbre "écocide" n'a pas été modifié en séance publique par les députés, ce dernier ne doit pas cacher le bourgeonnement de nouvelles mesures adoptées afin de renforcer la protection judiciaire de l'environnement. Celles-ci vont de la constatation des infractions – en élargissant les acteurs (OFB, gardes champêtres…) et outils (drones) mobilisables – à l'aggravation des sanctions, en passant par l'instauration de nouvelles procédures ou juridictions. La fin de l'examen des articles à l'Assemblée ce 17 avril a aussi été marquée par l'introduction d'un nouveau titre relatif à l'évaluation climatique et environnementale. Plusieurs dispositions des huit nouveaux articles qui le composent (dont cinq prévoient la remise d'un rapport) concernent les collectivités territoriales. Après ces trois semaines de travaux en séance, le vote solennel des députés sur l'ensemble du texte aura lieu mardi 4 mai. 

Comme en commission spéciale, l'examen du titre VI du projet de loi Climat & Résilience (voir notre dossier), relatif au renforcement de la protection judiciaire de l'environnement, a donné lieu à de vives discussions en séance publique. La majorité a toutefois tenu bon sur la version adoptée par la commission, aucune disposition n'ayant été retirée à l'issue de ces débats.
Les articles 67 (délit de mise en danger de l'environnement), 70 (hausse des peines d'amende), 71 (création un bureau d'enquêtes et d'analyses sur les risques industriels), 72 (lutte contre les dépôts sauvages), 73 (rapport sur l'application de nouveaux délits et de la loi Justice environnementale), 74 (rapport sur l'action du gouvernement en faveur de la reconnaissance de l’écocide comme un crime "international") et 75 (rapport sur l'opportunité de recodifier les dispositions pénales en matière d'environnement), tels qu'adoptés par la commission spéciale, n'ont même fait l'objet, au mieux, que de modifications de nature rédactionnelle.
En revanche, le projet initial s'est à nouveau enrichi de nouvelles dispositions, voire de nouveaux articles.

Nouvelle aggravation des sanctions (art. 68)

Sans surprise, le "délit d'écocide" a fait l'objet de vives critiques : "abus de langage" pour le député socialiste Gérard Leseul, "souris juridique" au regard de "la montagne […] vendue dans les médias" pour le député LR Julien Aubert, la disposition n'a pas, loin s'en faut, fait l'unanimité. Même le rapporteur spécial Erwan Balanant a concédé que "notre dispositif n’est peut-être pas parfait, sans doute faudra-t-il l’améliorer". En dépit de ces passes d'armes, il n'a pour autant pas été modifié d'un iota. Pas plus que le reste des dispositions prévues par cet article 68 d'ailleurs.

Ce dernier s'enrichit en revanche de nouvelles dispositions visant à renforcer les sanctions applicables à certains comportements délictueux, en assimilant certaines infractions non strictement identiques afin que le régime de la récidive, qui permet le doublement des peines d’emprisonnement et d’amende encourues, puisse s'appliquer. Issu d' amendements (victime d'un mauvais copier-coller) du groupe LREM et du rapporteur Erwan Balanant, complétés par un sous-amendement de Jean-René Cazeneuve, le texte dispose désormais que sont considérés, au regard de la récidive, comme une même infraction, outre les délits créés par le présent texte, les délits concernant la pollution des mers et des cours d’eau (C. env., art. L. 216‑6, L. 218‑11, L. 218‑34, L. 218‑48, L. 218‑64, L. 218‑73, L. 218‑84), la pollution de l'air (C. env., art. L. 226‑9),  les atteintes aux espèces et aux habitats naturels (C. env., art. L. 415‑3 et L. 415‑6), les atteintes à la faune piscicole et à son habitat (C. env., L. 432‑2 et L. 432‑3), l’utilisation de certaines techniques de pêche interdites (C. env., art. L. 436‑7 ) et l’exploitation sans autorisation d’une mine qui cause des dommages à l’environnement (C. minier, art. L. 512‑2).

Les gardes champêtres entrent dans la ronde (art. 69)

La liste des agents pouvant constater les infractions s'allonge à nouveau. Les gardes champêtres pourront être habilités à rechercher et à constater les infractions aux dispositions du titre III du Livre 2 du code de l'environnement.

Les drones à la rescousse (art. 69 bis nouveau)

Tiré d'un nouvel amendement du gouvernement, cet article 69 bis nouveau permet le recours à des drones pour la captation d’images, mais aussi pour la mesure de données physiques et chimiques, aux abords des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ou des installations et ouvrages soumis à la police de l’eau (IOTA) afin de vérifier le respect des prescriptions qui s’imposent à elles. L’enregistrement n’est pas permanent et n’est rendu possible que dans des cas limitativement énumérés par un décret à venir.

Élargissement du champ du "référé spécial environnement" (art. 69 ter nouveau)

Issu d'amendements de Naïma Moutchou et de Cécile Untermaier (précisés par un sous-amendement de Jean-René Cazeneuve), fruits des travaux qu'elles ont conduits dans le cadre d'une mission flash sur le référé spécial environnemental (voir notre article), ce nouvel article élargit le champ d’application du "référé pénal spécial" prévu à l’article L. 216‑13 du code de l’environnement en y intégrant les prescriptions imposées au titre des articles L. 181‑12, L. 211‑2, L. 211‑3 et L. 214‑1 à L. 214‑6 du code de l’environnement ou des articles L. 173‑2 et L. 111‑13 du code minier, des mesures édictées en application des articles L. 171‑7 et L. 171‑8 du code de l’environnement ou de l’article L. 173‑5 du code minier. Les autres mesures proposées par les deux élues dans le cadre de cette mission flash, comme par exemple l'élargissement du champ d'application du référé étude d'impact, n'ont en revanche pas prospéré.

Les agents de droit privé des réserves naturelles de nouveau dans la boucle (art. 69 quater nouveau)

Issu d'un amendement du groupe LREM, ce nouvel article vise à corriger une erreur du législateur lors de l'adoption de la n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale. Il rétablit la possibilité pour les agents commissionnés et assermentés de droit privé des réserves naturelles d'échanger des informations avec les autres services de la police de l'environnement.

Permettre le prononcé de mesures de réparation en comparution immédiate (art. 71 bis nouveau)

Issu d'un amendement du groupe LREM, ce nouvel article permet le prononcé de mesures de réparation des dommages causés à l’environnement (ensemble des mesures à caractère réel prévues par les articles L. 173-5 du code de l’environnement et L. 480-5 du code de l’urbanisme, telles que la remise en état ou la mise en conformité des lieux ou des ouvrages, ou encore la démolition totale ou partielle de l’ouvrage en cause) dans le cadre des procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et d’ordonnance pénale.

Une juridiction spécialisée pour traiter le contentieux relatif au devoir de vigilance des entreprises (art. 71 ter nouveau)

Issu de plusieurs amendements identiques ayant pour origine une proposition de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) portée par Matthieu Orphelin en commission des Lois lors de l’examen du projet de loi Parquet européen et justice pénale spécialisée en décembre 2020, ce nouvel article permet d’attribuer compétence à un ou plusieurs tribunaux judiciaires (qui seront désignés par décret) pour connaître des actions fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce, relatifs au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, instauré par la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 (devoir de vigilance qui, rappellent les auteurs, se matérialise par l’obligation de réaliser un plan de vigilance permettant d’identifier les risques et de prévenir les atteintes graves à l’environnement mais aussi envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, par l’obligation de le mettre en œuvre de manière effective et de le publier). Les premières actions judiciaires en cours ont en effet mis en évidence une incertitude entre compétence du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce. Cette spécialisation des juridictions est justifiée par "la forte technicité de ce contentieux" et sa "volumétrie limitée" dès lors que cette obligation ne concerne que les entreprises d’une certaine dimension.

Permettre à l'OFB de contrôler le respect de la nouvelle convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale (art.71 quater nouveau)

Issu d'un amendement du rapporteur Erwan Balanant, ce nouvel article permet aux services de l’Office français de la biodiversité (OFB) de contrôler la mise en œuvre du programme de conformité et la réparation du préjudice écologique dans le cadre de la nouvelle convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale, créée par la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020.

Nouvelles dispositions sur l'évaluation climatique et environnementale (titre VII)

Via deux amendements identiques déposés par les groupes LREM et Modem, les députés ont inséré en séance publique un nouveau titre VII au projet de loi Climat et Résilience. Dédié à l'évaluation climatique et environnemental, il était initialement composé de quatre articles (que sont venus rejoindre par la suite quatre autres articles).
Leurs promoteurs indiquent que ces nouvelles dispositions prennent leur source dans le rapport du 18 décembre 2019 du Haut Conseil pour le climat (Évaluer les lois en cohérence avec les ambitions) qui, pointant "le manque de moyens que se donne la France dans son pilotage vers l’objectif de neutralité carbone" et le fait que "seuls 3 % des articles de loi sont évalués sous l’angle environnemental", recommandait notamment la mise en place d’un processus d’évaluation des lois par rapport à la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) lorsqu’elles sont au stade de projet (ex ante) et après leur adoption (ex post). Mais aussi dans les propositions de la Convention citoyenne pour le climat qui proposait de "renforcer et centraliser l’évaluation et le suivi des politiques publiques en matière environnementale" (proposition C.6.2) et soulignait "la nécessité de disposer d’un organisme indépendant vis-à-vis de l’État et des influences extérieures et doté de moyens suffisants pour effectuer correctement l’évaluation en matière environnementale".

Évaluation par la Cour des comptes et bilan des actions au titre de la SNBC (art. 76 nouveau)

Le texte adopté dispose que la Cour des comptes évalue annuellement la mise en œuvre des mesures prévues par la présente loi, avec l’appui du Haut Conseil pour le climat, et en dresse un rapport d’évaluation rendu public et qui fait l’objet d’une réponse du gouvernement elle aussi rendue publique.
Le texte dispose également qu'un rapport annexé au projet de loi fixant les objectifs en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre (prévu à l’article L. 100-1 A du code de l’énergie) et donnant lieu à approbation par le Parlement présente le bilan des actions engagées par le gouvernement, les collectivités territoriales et les entreprises au titre de la stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone. Il propose l’évolution des budgets carbone pour garantir l’atteinte des objectifs climatiques de la France.

SNBC : un observatoire pour suivre les actions des collectivités (art. 77 nouveau)

Aux termes de ce nouvel article, les collectivités territoriales, représentées par les membres du collège d’élus assurant la représentation des collectivités territoriales créé au sein du Conseil national de la transition écologique en application de l’article L. 133-4 du code de l’environnement, mettent en place un observatoire des actions qu’elles conduisent et des engagements qu’elles prennent pour mettre en œuvre la SNBC.
Au moins tous les trois ans, ce suivi fait l’objet d’un rapport transmis au Parlement après l’avis du Haut Conseil pour le climat.

Une feuille de route, établie notamment par les représentants des collectivités, pour chaque secteur fortement émetteur de GES (art. 78 nouveau)

Ce nouvel article dispose qu'au plus tard le 1er janvier 2023, pour chaque secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre, une feuille de route est établie conjointement par les parties prenantes des filières économiques, le gouvernement et des représentants des collectivités territoriales afin de coordonner les actions et les engagements de chacune des parties pour atteindre les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre fixés par la SNBC.
Au moins tous les trois ans, le gouvernement rend compte de l’avancée de ces travaux au Parlement, après avis du Haut Conseil pour le climat.

Un rapport pour améliorer l'impact environnemental des projets de loi (art. 79 nouveau)

Le gouvernement remet, avant la fin de cette année, un rapport sur les moyens d’améliorer l’évaluation de l’impact environnemental et climatique des projets de loi.

Un rapport sur l’installation de bornes dans les parkings couverts ouverts au public (art. 80 nouveau)

Issu d'un amendement de Damien Adam, ce nouvel article dispose que le gouvernement remet au Parlement, dans les six mois de la promulgation de la loi, un rapport sur la réglementation et les référentiels relatifs à l’installation de bornes dans les parkings couverts ouverts au public ainsi que sur les pratiques d’application, dans le but de proposer des préconisations d’adaptation. Un rapport qui aurait pu trouver sa place au sein du titre "Se déplacer" du texte (voir notre article).

Un rapport sur les métiers, compétences et formations de la transition écologique (art. 81 nouveau)

Issu d'un amendement de Sandrine Mörch, qui relève que "multiples sont les témoignages de filières fortement touchées par la transition écologique qui souhaitent recruter mais ont des difficultés à trouver des employés aux compétences adaptées", ce nouvel article dispose que le gouvernement remet au Parlement, d'ici la fin de l'année, un rapport sur les métiers et compétences en tension en rapport avec la transition écologique, sur l’offre de formation professionnelle initiale et continue à ces métiers et compétences et sur l’opportunité que présente le déploiement des écoles de la transition écologique pour répondre au besoin de formation professionnelle identifié.

Restauration collective et alimentation locale et bio : un rapport sur des modèles de rédaction de marchés publics (art. 82 nouveau)

Issu d'un amendement de Jennifer De Temmerman, qui estime qu'"un des freins essentiels au déploiement du local et du bio dans la restauration scolaire est la rédaction de clauses de marchés publics permettant de [les] favoriser", ce nouvel article dispose que le gouvernement remet au Parlement, dans les six mois de la promulgation de la loi, un rapport sur l’opportunité de mettre à la disposition des gestionnaires de restauration collective des modèles de rédaction de marchés publics afin de favoriser le déploiement de l’alimentation locale et biologique. Un rapport qui aurait pu trouver sa place dans le titre "Se nourrir" du texte, d'autant que les députés ont introduit en séance publique des dispositions en matière de marchés publics pour les personnes morales de droit public chargées de services de restauration collective (voir notre article).

Un rapport pour étudier le fléchage des amendes "environnementales" vers des actions de réparation des atteintes à l'environnement (art. 83 nouveau)

Issu d'un amendement du rapporteur Erwan Balanant, ce nouvel article dispose que dans les trois mois de la promulgation de la loi, le gouvernement remet au Parlement un rapport qui pourrait proposer des pistes relatives à l’affectation du produit des sanctions pénales infligées à la suite de la commission d’infractions environnementales (infractions relatives à la pollution des mers ou des cours d’eau, et de l’air, aux parcs nationaux, à la protection des monuments naturels et des sites inscrits et classés, aux atteintes aux espèces et aux habitats naturels, aux atteintes à la faune piscicole et à son habitat ou encore à l’exploitation sans autorisation d’une mine qui cause des dommages à l’environnement) à des actions de remise en état rendues nécessaires par des atteintes à l’environnement.
Un rapport qui aurait là encore pu trouver sa place dans le titre VI relatif au renforcement de la protection judiciaire de l’environnement.