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Insertion/Emploi - Une "prime d'activité" pour remplacer le RSA activité et la PPE

Dans son rapport remis au Premier ministre, Christophe Sirugue préconise "une réforme de rupture", à travers la création d'une "prime d'activité ciblée, effective et efficace" qui se substituerait à la fois au RSA activité et à la prime pour l'emploi. Il estime "nécessaire d'agir sans tarder", autrement dit dès le projet de loi de finances pour 2014.

Missionné en mars dernier (voir notre article ci-contre du 12 mars 2013), Christophe Sirugue, député PS de Saône-et-Loire - et ancien président de conseil général -, a remis le 15 juillet en fin de journée au Premier ministre son rapport sur la réforme des dispositifs de soutien aux revenus d'activité modestes. Cette mission s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, présenté par Jean-Marc Ayrault le 21 janvier dernier (voir notre article ci-contre du 22 janvier 2013).

RSA activité et PPE : des défauts redhibitoires

Comme Localtis l'indiquait il y a un mois, le rapport Sirugue - rédigé avec le soutien de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) - a finalement tranché en faveur de la création d'une "prime d'activité", qui se substituerait à la fois au RSA activité et à la prime pour l'emploi (voir notre article ci-contre du 19 juin 2013).
Pour aboutir à cette conclusion, le rapport - dont il faut souligner la clarté et la rigueur dans la démonstration - part d'un constat qui est aujourd'hui partagé de façon quasi unanime : le manque d'efficacité de la PPE et du RSA activité, qui visent tous deux à soutenir les revenus modestes, mais avec des modalités totalement disparates et des résultats incertains. Ces prestations concernent environ 700.000 foyers pour le RSA activité et 6,2 millions pour la PPE. Malgré leur coût respectable (2,5 milliards d'euros pour la PPE et 1,6 milliard pour le RSA activité), ces deux prestations présentent des défauts rédhibitoires.
Parmi une longue liste, on peut citer "le très faible effet sur l'incitation à la (re)prise d'activité ou au maintien dans l'activité" - notamment en raison de la perte des droits connexes locaux - et le faible effet redistributif de la PPE, qui engendre un effet de "saupoudrage" (seuls 20% de ses bénéficiaires sont rémunérés au Smic). On peut également citer la dispersion des moyens et la perte d'efficacité engendrée par la coexistence de deux dispositifs aux finalités voisines, mais aux modalités très dissemblables, voire antagonistes.
A ces faiblesses communes s'ajoutent des défauts propres à chaque prestation. Du côté du RSA activité, le principal - déjà bien connu - réside dans le non recours massif à cette prestation, pour des raisons de méconnaissance, de manque de lisibilité, de complexité des formalités, de "stigmatisation", de crainte des indus... Au final, le non recours - au regard du nombre de bénéficiaires potentiels - atteint le taux record de 68%.
Du côté de la PPE, les gouvernements successifs en ont gelé le barème depuis 2008, ce qui fait perdre à cette prestation déjà modeste (l'équivalent de 36 euros par mois) un peu plus de pouvoir d'achat chaque année. A défaut d'être très social, le résultat est cependant efficace en termes budgétaires, puisque les dépenses prévues en loi de finances pour la PPE sont passées de 4,48 milliards d'euros en 2008 à 2,46 milliards dans le PLF 2013. Le rapport estime d'ailleurs "le dispositif est, sans changement, voué à perdre très rapidement en efficacité tout en s'éteignant progressivement".

"Créer un dispositif simple et lisible"

Face à ce constat sans appel, le rapport Sirugue se fixe une ambition : "créer un dispositif simple et lisible, qui réponde aux besoins de ses bénéficiaires". Pour cela, il fixe un certain nombre de principes. Le premier d'entre eux consiste à recentrer le dispositif sur les travailleurs modestes et à leur garantir un soutien pérenne. Pour cela, le rapport préconise de se centrer sur un seul dispositif, de l'ouvrir jusqu'à 1,2 Smic et de prévoir une entrée dès le premier euro. Autre principe important : le nouveau dispositif serait ouvert dès 18 ans, ce qui pourrait concerner environ 300.000 jeunes, un chiffre sans commune mesure avec les 9.000 bénéficiaires de l'actuel RSA jeunes.
Le dispositif serait également "individualisé", ce qui marque une rupture par rapport à l'approche familiale du RSA activité et de la PPE. En pratique, le calcul du nouveau complément financier individuel serait fondé sur les revenus d'activité de chaque travailleur, et non plus sur ceux du foyer. En revanche, une telle approche ne manquerait pas de pénaliser les familles monoparentales, ce qui obligera à prévoir des mécanismes compensatoires. Par ailleurs, la condition d'éligibilité - à ne pas confondre avec le calcul du montant de la prestation - resterait déterminée par les ressources du foyer, afin de ne pas créer d'effets anti-redistributifs.
Un autre principe posé par le rapport réside dans la mise en œuvre d'un dispositif réactif, capable de prévenir les ruptures. Ceci passe par le choix d'une périodicité de versement mensuelle, comme le RSA activité, mais à l'opposé de la PPE, versée annuellement. Enfin, le dispositif devra être simple, pour garantir sa réussite, à la différence - cette fois-ci - du RSA activité. La réponse passe par le choix d'une attribution annuelle, avec maintien de déclarations de ressources trimestrielles pour conserver les processus actuels du RSA.

Quatre scénarios alternatifs...

Plusieurs dispositifs étaient susceptibles de répondre à ces ambitions et à ces principes. Le rapport passe donc en revue plusieurs scénarios, pour choisir au final celui de la "prime d'activité". C'est un choix de raison, dans la mesure où le RSA activité et la PPE se révèlent difficiles à améliorer et qu'aucun des scénarios alternatifs étudiés ne s'impose de façon incontestable. Chacun d'eux présente en effet des avantages et des inconvénients. Point important : ces quatre scénarios ont été étudiés et calibrés sur la base d'une enveloppe constante de 4 milliards d'euros (2,45 milliards d'euros pour la PPE en 2013 et 1,6 milliard pour le RSA activité). Dans tous les cas de figure, la réforme devrait donc se faire à enveloppe constante (bien qu'il n'apparaisse pas clairement si le chiffrage prend en compte le surcoût à prévoir pour compenser le désavantage dont pourraient souffrir les allocataires isolés et familles monoparentales).
On ne s'attardera pas sur les scénarios non retenus. Pour mémoire, on retiendra toutefois qu'il s'agit d'un "dispositif fiscal réformé, axé sur l'automaticité" (qui privilégie le volet PPE), d'un "dispositif social intégré, axé sur la réactivité" (plus proche du RSA activité actuel, tout en y intégrant le principe de la PPE), d'un "dispositif lié à l'emploi, axé sur l'individualisation" (fusion du RSA activité et de la PPE au sein d'une nouvelle prestation strictement individualisée) et, enfin, d'un "dispositif sur les feuilles de paie, axé sur la lisibilité" (exonération ciblée des cotisations sociales salariales pour dégager du pouvoir d'achat).

...pour" une réforme de rupture"

Faute que l'un des quatre scénarios s'impose clairement, le rapport se prononce donc pour "une réforme de rupture", à travers la création d'une "prime d'activité ciblée, effective et efficace". Ce choix est sans doute le plus proche - sans lui être identique - du troisième scénario évoqué ci-dessus. Cette prime d'activité se substituerait à la fois au RSA activité et à la PPE. Elle reposerait sur une logique d'individualisation du complément financier aux revenus d'activité modestes, mais conserverait une éligibilité sur la base des revenus collectifs. De ce fait, elle impliquerait de revoir un certain nombre de mécanismes d'intéressement existants.
Outre ces caractéristiques, cette prime serait ouverte à tous les salaires individuels d'activité (le rapport n'est pas très clair sur le sort des agriculteurs et des professions indépendantes), compris entre zéro euro et 1,2 fois le Smic. Les avantages d'un tel dispositif résideraient avant tout dans sa lisibilité, dans la simplification des démarches administratives pour bénéficier de la prestation, dans le meilleur ciblage de la prime d'activité sur les travailleurs modestes avec un barème conçu en conséquence, et sur la mise en place de mesures complémentaires pour les familles vulnérables (afin de compenser les effets négatifs de la mesure pour ces catégories). On pourrait aussi ajouter que la prime d'activité aurait le grand mérite de réparer l'une des principales erreurs du RSA activité, en mettant fin à l'usage d'un même terme pour désigner à la fois un minima social pour des personnes ne travaillant pas (pour la plupart) et un complément de revenu pour des salariés. Ceci devrait faire disparaître "l'effet stigmatisation", qui a lourdement pesé sur la montée en charge de cette prestation.
En pratique, le rapport prévoit que 7,3 millions de personnes seraient éligibles à la prime d'activité. Son montant mensuel maximal serait de 215 euros et il atteindrait 80 euros au niveau du Smic. Le tout avec un seuil minimal de versement de 15 euros par mois. Enfin, le rapport préconise de maintenir la gestion de cette nouvelle prestation par les CAF et les caisses de MSA - comme c'est aujourd'hui le cas pour le RSA -, au détail près que le nombre de dossiers suivis par ces dernières passerait de 700.000 à 7,3 millions... Le rapport n'exclut d'ailleurs pas, à moyen ou long terme, un basculement de la gestion sur Pôle emploi, qui ne semble cependant guère mieux armé dans un contexte de montée du chômage.

Quel calendrier pour la réforme ?

Très complet, le rapport Sirugue s'est également penché sur le calendrier de mise en œuvre d'une telle réforme. Premier point : il prend ses précautions vis-à-vis de Bercy, en jugeant "indispensable" de sanctuariser les dotations 2013 de la PPE et du RSA activité. Il estime également "nécessaire d'agir sans tarder", autrement dit dès le projet de loi de finances pour 2014. Un objectif très ambitieux, car il laisse peu de temps à la finalisation du dispositif. En outre, il semble qu'une réforme d'une telle ampleur relève plutôt d'une loi ad hoc - comme le RMI ou le RSA -, qui pourra difficilement trouver sa place dans une fin d'année parlementaire traditionnellement très chargée avec le PLF et le PLFSS. Le rapport semble d'ailleurs ne croire que modérément à ce scénario ultrarapide, car il précise lui-même qu'"il serait opportun, une fois cette réforme opérée, de réfléchir sur des points qui n'ont pu être qu'effleurés dans le cadre de ce rapport". Une gymnastique qui semble un peu difficile à mettre en œuvre sans risques de contradictions.
En recevant le rapport Sirugue le 15 juillet, le Premier ministre s'est d'ailleurs bien gardé d'évoquer un calendrier, se contentant d'indiquer que "les pistes vont maintenant être travaillées par le gouvernement". En revanche, l'ampleur et la qualité des simulations - preuve que les ministères concernés ont été étroitement associés à la réalisation du rapport - montrent que le gouvernement est bien sur la même voie. Le communiqué de Jean-Marc Ayrault, tout en soulignant que la prime d'activité "permettrait de simplifier significativement les formalités d'accès au dispositif par rapport au RSA activité", prend néanmoins soin de rappeler que "de par sa nature individuelle, elle présenterait en revanche le risque de pénaliser un certain nombre de familles très modestes qui recourent aujourd'hui au RSA activité, dont le barème familial leur est en effet favorable". Si la voie semble tracée, le débat est donc loin d'être clos.

 

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