Vers une nouvelle année de sobriété ?

En point d'orgue à cette année 2022, Localtis éteint les lumières et vous propose une série de dossiers regroupant nos derniers articles sur quelques-uns des sujets ayant dominé l'actualité des collectivités durant ces derniers mois. Finances et crise énergétique en tête. Des questions de gestion en somme. Parmi les sujets de débat incontournables, on n'oubliera toutefois pas le ZAN et les craintes de répercussions sur le logement et le développement économique local. Ni les enjeux d'aménagement du territoire portés par les divers programmes de revitalisation. De tout cela il sera de nouveau question… dès la reprise de nos éditions quotidiennes le 3 janvier.

Que retenir des derniers mois de 2022 ? En juillet dernier, pour notre édition spéciale "parenthèse estivale", nous ne pouvions anticiper qu'une… "rentrée pleine d'incertitudes". Car en ce début de nouveau quinquennat Macron et de sa promesse d'une "nouvelle méthode", du côté de l'exécutif, l'heure était alors encore aux consultations. La hausse des coûts de l'énergie était déjà largement palpable mais l'urgence immédiate était d'éteindre les incendies. La nouvelle Assemblée nationale avait tumultueusement donné de la voix mais on savait que le marathon budgétaire de l'automne viendrait encore accentuer les clivages.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Concertations et consultations ont effectivement eu lieu. Que ce soit de façon formelle, par exemple dans le cadre des divers groupes de travail visant à élaborer le "plan de sobriété énergétique" présenté début octobre. Ou de façon plus ponctuelle, entre le gouvernement et les associations d'élus – toutes ayant reconnu une nouvelle qualité de dialogue. Notamment avec Élisabeth Borne elle-même. Sans oublier Christophe Béchu qui, sous son large portefeuille ministériel, s'est beaucoup exprimé sur les sujets collectivités, que ce soit lors des congrès d'élus de l'automne ou d'auditions parlementaires (par exemple en octobre dernier devant la commission des lois du Sénat). Presque plus que sur les sujets transition écologique ? Quant à sa ministre déléguée chargée des collectivités, il faudra attendre un peu pour en dire davantage… puisque Caroline Cayeux – que nous avions interviewée à la veille du Congrès des maires – a, on le sait, été remplacée fin novembre par sa collègue Dominique Faure, jusque là en charge de la seule ruralité.

Consultations, encore, avec le fameux Conseil national de la refondation (CNR) lancé début septembre par Emmanuel Macron. Si d'aucuns s'interrogent encore sur ses finalités, force est de constater que les sujets choisis concernent tous de près les collectivités. Que ce soit pour les "CNR nationaux thématiques" ("bien-vieillir", logement, numérique, "climat et biodiversité", jeunesse, numérique…) ou pour les "CNR territoriaux" (école et santé) susceptibles de déboucher sur des "plans d'action" locaux.

Précarités

S'agissant du marathon budgétaire, il a évidemment été très particulier cette année, à coups de 49.3 côté Assemblée (dix au total) et de grognes sénatoriales. Avec entre autres, pour les collectivités, l'inscription dans la loi d'un engagement électoral d'Emmanuel Macron auquel nombre d'élus locaux s'opposaient de longue date : la suppression de la CVAE. Quelles que soient les compensations envisagées, le "lien fiscal" avec le tissu économique local était selon eux en jeu, tout comme l'avait été le lien fiscal avec le citoyen lors de la suppression de la taxe d'habitation. Avec bien évidemment aussi, dans l'immédiat, ce contexte d'inflation dopée par la crise énergétique.

2023 sera-t-elle l’annus horribilis des finances locales ? Les élus locaux et particulièrement les maires ne cachent pas leur inquiétude. Les prévisions de la direction des études de la Banque postale dessinent en effet un horizon financier assez sombre pour les collectivités locales. Petites villes, territoires urbains, départements… aucune catégorie n’échappe à l’inflation galopante. Évoquant des perspectives financières "incertaines", la Cour des comptes s'inquiète, pour sa part, de l'existence de situations financières locales "de plus en plus divergentes".

Energie, mais aussi denrées alimentaires, matières premières, prix du bâtiment et des travaux publics, carburant… une multitude de postes de dépenses voient les prix s’emballer. À cela s’ajoute la hausse du point d’indice de la fonction publique au 1er juillet dernier. Le cocktail est détonant. Un certain nombre de collectivités n’ont pas attendu la présentation, début octobre, du plan national de sobriété énergétique pour réagir. Limitation de l’éclairage des rues et du patrimoine, réduction de la température et suppression de l’eau chaude aux lavabos dans les locaux administratifs et les gymnases, rénovation thermique des bâtiments publics… les élus locaux font feu de tout bois pour freiner les consommations et, donc, les coûts. Certains – comme le maire de Limoges par exemple – ont annoncé également l’arrêt d’un ou plusieurs équipements sportifs énergivores. Et l'alerte des élus porte désormais aussi sur la situation de certains ménages, entre précarité énergétique et précarité tout court (y compris alimentaire), ainsi que sur celle de certaines entreprises, notamment artisanales. Ou quand la crise énergétique menace de se doubler d'une crise sociale.

Filet et amortisseur

Dans ce contexte, les dispositifs spécifiques d’aide aux collectivités ne sont certainement pas aussi ambitieux que le souhaitaient les associations d’élus locaux. Mais, au fil des discussions parlementaires, ils ont été améliorés. Plusieurs milliers de communes et intercommunalités ont ainsi pu obtenir un acompte au titre du filet de sécurité inscrit dans la première loi de finances rectificative pour 2022. Acompte qui sera complété par le versement du solde au plus tard le 31 octobre 2023. Un second filet de sécurité, élargi à l’ensemble des collectivités et recentré sur les dépenses énergétiques, prendra le relais l'an prochain. Par ailleurs, un "amortisseur électricité" permettra aux collectivités non éligibles aux tarifs réglementés de bénéficier d’un allégement de leur facture.

Les mécanismes de soutien dont la mise en œuvre débutera l’an prochain sont prévus par le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 (définitivement adopté mais faisant l'objet d'un recours de la Nupes et de LR devant le Conseil constitutionnel, saisines portant notamment, pour les uns, sur les moyens dédiés à la transition écologique et sur la suppression de la CVAE et, pour les autres, sur la répartition de la dotation globale de fonctionnement). Un texte qui programme une hausse de 320 millions d’euros de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Un tel abondement n'avait pas été vu depuis 2009. Il reste toutefois nettement inférieur au relèvement que réclamait l’Association des maires de France (AMF), qui plaidait pour une indexation de la DGF sur l'inflation. Celle qui défend la cause des communes et intercommunalités a été entendue, en revanche, sur le maintien des règles de revalorisation forfaitaire en 2023 des valeurs locatives, qui servent au calcul des impôts locaux.

Exit le "contrat de confiance"

L’ensemble des mesures soulagera le porte-monnaie des collectivités. Une bonne nouvelle en cette période de préparation, sous haute tension, des budgets 2023. L’exercice se présente comme un véritable casse-tête, comme en ont témoigné plusieurs maires, lors du dernier Congrès des maires. Et ce, même si la pression descend d’un cran avec le retrait du très décrié "contrat de confiance", comme s'y était engagée Élisabeth Borne en clôture du congrès. Le PLF 2023 dans sa version finale est en effet expurgé de l’article 40 quater prévoyant de sanctionner les collectivités qui ne respecteraient pas une trajectoire des dépenses de fonctionnement inférieure à l’inflation. Ce mécanisme ne figure plus non plus en tant que tel dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027. À la veille de la réunion de la commission mixte paritaire (CMP) qui s’est tenue le 15 décembre, le gouvernement a consenti à l’abandonner. En sachant que l'objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel), qui correspond désormais à une diminution des dépenses de fonctionnement, de 0,5% par an en volume (autrement dit à une hausse inférieure de 0,5% par rapport à l'inflation) est, lui, bien maintenu. Ce geste n’a pas été suffisant pour arracher un vote favorable de la part des oppositions et un accord en CMP. Le texte devra donc poursuivre en janvier son chaotique parcours parlementaire (nouvelle lecture), avec une issue très incertaine.

Si l'étau se desserre un peu pour les collectivités, leur capacité d'autofinancement devrait plonger. Ceci est mécanique, souligne une récente étude de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL) : une hausse de 10% des dépenses énergétiques équivaut à une perte "toutes choses égales par ailleurs" de 4,3% sur l'épargne nette des communes, c'est-à-dire la part de la section de fonctionnement que celles-ci utilisent pour financer leurs investissements.

Année noire pour l'investissement local ?

Avec moins de carburant dans le moteur, l'investissement public local pourrait décélérer fortement l'an prochain. En effet, comme l'explique Pierre Breteau, coprésident de la commission Finances et fiscalité locales de l'AMF, le report ou l'abandon de projets d'équipements constitue "la variable d'ajustement la plus simple" pour les collectivités et leurs groupements (voir notre interview). La menace est bien réelle. Le baromètre de la commande publique mis en place par la Banque des Territoires et Intercommunalités de France a, d'ailleurs, déjà enregistré de premiers signes de ralentissement au deuxième trimestre 2022.

Avec un "fonds vert" de 2 milliards d'euros, qui viendra s'ajouter aux traditionnelles dotations d'investissement, les subventions de l'État seront certes assez substantielles. Mais, dans tous les cas où elles investissent, les collectivités doivent, elles aussi, mettre la main à la poche. Une bonne santé financière est alors souvent un préalable : sans existence de marges de manœuvre, les réalisations sont différées, comme nous l'enseigne la dernière étude de l'OFGL.

Les investissements locaux en faveur de la transition écologique risquent donc de ne pas décoller, à un moment où pourtant leur accélération serait indispensable. Pour rappel, l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) estime que les investissements climat des collectivités devraient plus que doubler pour atteindre les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone.

La revitalisation, l'autre nom de l'aménagement du territoire

Dans ce voyage en eaux troubles, quelques lueurs. L'investissement local, lorsqu'il fait l'objet d'un accompagnement spécifique, apporte des changements tangibles. Ainsi, les programmes de revitalisation pilotés par l’Agence nationale de cohésion du territoire (ANCT) ont enclenché un regain d’attractivité dans les villes concernées. Mais l’effort doit se poursuivre. Coup sur coup, le Sénat et la Cour des comptes ont invité à ne pas baisser la garde. Action cœur de ville (ACV) recevra ainsi au moins cinq milliards d’euros de plus d’ici 2026 (dont la moitié en provenance de la Banque des Territoires). Comme l’avait souhaité Emmanuel Macron, cette deuxième phase s’intéressera en particulier aux entrées de villes et aux quartiers de gare. Une trentaine de sites pilotes seront désignés avant une généralisation.

De son côté, Petites Villes de demain (PVD), lancé plus tardivement, est à présent dans le concret : les chefs de projets ont été recrutés, déjà quelque 25.000 logements ont été rénovés selon un point d’étape de l’ANCT. Le prix moyen des appartements a grimpé de 7% dans ces villes en 2021. À noter que l'ANCT vient de se choisir comme nouveau président : Christophe Bouillon, le président de l’Association des petites villes de France qui a fortement milité pour ce programme frère d’Action coeur de ville. L’agence a aussi un nouveau directeur général, Stanislas Bourron, qui, lors de ses auditions à l’Assemblée et au Sénat, a exposé l’impulsion qu'il entend donner. Il s’est notamment montré favorable à des "indices de décrochage des territoires ruraux" dans la réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR) confirmée par Élisabeth Borne, lors du dernier Congrès des maires.

Réforme des ZRR et nouveau programme d'actions pour la ruralité

C’est Dominique Faure - désormais, donc, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité - qui sera chargée de ce vaste chantier. Elle présentera aussi mi-janvier à la Première ministre ses pistes de poursuites de l’Agenda rural. Elle préconise un "programme d'action" plus ramassé que le catalogue actuel de 181 mesures. L’ANPP qui anime l’un des six groupes de travail mis en place pour aboutir à ce programme – celui consacré à l’attractivité des territoires ruraux – insiste notamment sur la place qu’il faut accorder à l’enseignement supérieur.

L’Association des maires ruraux de France (AMRF) plaide pour sa part pour l’instauration d’un "troisième volet", après Action cœur de ville (qui s’adresse à 234 aux villes moyennes), Petites Villes de demain (dédié aux villes de moins de 20.000 habitants exerçant une fonction de centralité) : les "villages d’avenir". Car selon son président, Michel Fournier, "le ruissellement d’ACV et de PVD n’existe pas sur ces villages". Le sujet fait partie des réflexions de Dominique Faure. Verdict au mois de janvier.

Le programme Avenir montagnes a enclenché une réflexion sur le modèle touristique des zones de montagne. L’ANCT et la Banque des Territoires se disent prêtes à poursuivre leurs efforts. La Banque des Territoires a d’ores et déjà annoncé qu’elle proposerait une "nouvelle offre" en 2023.

Autre programme de revitalisation, les Territoires d’industrie ont été une réussite. Mais les élus s’inquiètent à présent de la tournure prise par le plan France 2030 dont près de la moitié des crédits bénéficient à l’Île-de-France. Et il repose toujours sur un recours massif aux appels à projets. La territorialisation promise n'est pas au rendez-vous.

Des fonds européens toujours aussi obscurs

Un autre défi attend les territoires à compter du 1er janvier 2023 : la mise en œuvre de la nouvelle politique agricole commune (PAC). Les régions sont responsables de l’installation des jeunes agriculteurs. Un défi colossal avec plus de 100.000 exploitants amenés à prendre leur retraite dans les prochaines années. Elles participent à la concertation lancée début décembre en vue du Pacte d’orientation et d’avenir agricoles, qui débouchera sur une loi annoncée pour le début de l’été 2023.

Les régions ont aussi donné le coup d’envoi de la politique de cohésion pour 2021-2027. Et toujours ce constat : les maires de petites villes ne sont pas suffisamment informés.

On se souviendra enfin que c'est durant l'automne, début octobre précisément, qu'Emmanuel Macron a reparlé de décentralisation, en évoquant un "nouveau chapitre". Est-ce à dire qu'un chantier sera concrètement ouvert en 2023 ? A l'heure où l'on attend toujours la plupart des décrets d'application de la loi 3DS, on peut en douter. Lors du congrès des maires, Elisabeth Borne a estimé qu'il faudra commencer par "faire un bilan complet" des "effets des lois Maptam et Notre" et, précisément, "aller au bout de l’application de la loi 3DS". Pour la suite, elle s'en est tenue à "quatre principes" : transferts de compétences, "ressources dynamiques et adaptées", "capacités de différenciation", "responsabilités". S'exprimant la veille devant un parterre de maires réunis à l'Elysée, le chef de l'Etat avait pour sa part indiqué qu'il commencerait à travailler sur cette "réforme institutionnelle" à partir du premier semestre 2023.