Après le terrorisme et le séparatisme, "l'entrisme" dans le viseur
Confirmant les déclarations du Premier ministre, le ministre de l'Intérieur a indiqué réfléchir à de nouvelles mesures législatives pour lutter contre l'entrisme islamiste, considérant que les dispositifs mis en œuvre pour combattre le terrorisme, puis le séparatisme, ne permettent pas d'appréhender cette "troisième étape". À court terme, tous deux font état du risque d'infiltration des listes électorales lors des prochaines municipales, en renvoyant la balle aux élus. De leur côté, 29 sénateurs LR préconisent 17 mesures pour "un réarmement républicain global face à l'offensive islamiste", dont l'interdiction du voile pour les moins de 16 ans et les accompagnatrices scolaires ainsi que la neutralité confessionnelle pour les élus dans l'exercice de leur mandat.
© Capture vidéo Assemblée nationale/ Audition de Laurent Nuñez le 18 novembre
"Il est urgent de lancer la phase 3 sur l'entrisme [islamiste]". Auditionné le 18 novembre, à l'Assemblée, par la commission d'enquête "sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l'action terroriste ou propageant l'idéologie islamiste", le ministre de l'Intérieur a confirmé qu'"une réflexion était en cours" au sein du gouvernement sur un nouveau projet de texte en la matière pour "passer à la vitesse supérieure".
Lutte contre l'entrisme, une "nécessite absolue"…
Une action jugée d'autant plus impérieuse au regard du sondage conduit par l'Ifop pour Écran de veille publié la veille de son audition, et dont il ressort notamment que 38% des sondés Français musulmans approuveraient tout ou partie des positions islamistes ou encore que seuls 49% des musulmans interrogés privilégieraient le respect des lois françaises à celui des règles de l'islam. "Je le prends comme une nécessité absolue d'aller sur cette phase 3 sur l'entrisme", a déclaré Laurent Nuñez, en précisant qu'après le terrorisme, puis le séparatisme, c'est "le sujet qui nous occupe en ce moment […]. Il y a clairement une réflexion en cours qui est pour l'instant poussée par le ministère de l'Intérieur". Confirmant ainsi les déclarations du Premier ministre qui, le 12 novembre dernier, indiquait, en réponse à une question du député Michel Barnier, que "forts du travail considérable [qui] a été remis au goût du jour tout au long de l'année 2024, les ministres concernés pourr[aie]nt lancer une consultation des différentes formations politiques représentées à l’Assemblée nationale afin d’identifier ce qui, dans notre arsenal juridique, peut être encore amélioré pour lutter contre le séparatisme et l’entrisme".
… impossible "à droit constant"
Pour Laurent Nuñez, de nouveaux textes sont indispensables pour lutter contre ce fléau, "plus pernicieux, plus sournois" que le séparatisme, lequel "se voit". "C'est beaucoup plus compliqué. On est dans une espèce de stratégie de dissimulation, assumée comme telle par le mouvement des Frères musulmans, [visant à] noyauter les démocraties occidentales pour, au bout du bout, arriver à une application de la loi religieuse", a-t-il expliqué, en renvoyant notamment au rapport rendu public, "dans une forme expurgée", par son prédécesseur (lire notre article du 22 mai). Si compliqué d'ailleurs qu'"à droit constant, ça n'est pas possible. Il n'y a pas d'incitation à la haine, à la discrimination affichée. Et encore moins d'incitation à la violence, évidemment. Tout le dispositif juridique qu'on a mis en place est très difficile à appliquer", a-t-il observé. Il vise ici les mesures mises en œuvre "à partir de 2018-2019", et singulièrement la loi de 2021 "confortant le respect des principes de la République" (lire notre article du 30 août 2021), dont il estime que si "elle permet quand même de faire un certain nombre de choses pour assurer la neutralité dans les services publics", elle ne permet pas d'appréhender correctement l'entrisme.
Trois principaux objectifs
Le ministre indique que le projet de texte devrait permettre de régler trois difficultés : "ne pas entraver l'action des services de renseignement ; avoir des possibilités d'incrimination pénale et, surtout, avoir la possibilité de dissoudre des structures", parmi lesquelles "les fonds de dotation". Dans le détail, il précise que son ministère réfléchit également à "une mesure de gel des avoirs pour des agissements qui sont liés à tous ces motifs", à des mesures pour "renforcer le contrôle sur l'accueil des mineurs", mais aussi celui "des ouvrages et publications illicites", ou encore à l'instauration d'un "avis conforme des préfets sur les permis de construire des lieux de culte qui pourraient poser problème" à ce titre.
Par ailleurs, avouant avoir "un souci avec les textes européens, qui ne prévoient pas, par exemple, de gel des avoirs pour radicalisation", il a indiqué se battre pour "que les mesures que nous prenons à ce titre puissent être valables" dans les autres États de l'UE, et même au-delà. Il plaide encore "pour qu'il y ait des contrôles" de manière à ce que les structures en cause "ne bénéficient pas de financements européens". Le tout avec "beaucoup de pédagogie", soulignant qu'"il y a énormément de pays qui n'ont pas compris la loi de 2021, la circulaire qui a accompagné cette loi, les discours qui ont pu être tenus par des politiques à l’époque".
17 propositions des sénateurs LR
Si elle est en première ligne, la place Beauvau est toutefois loin d'être la seule à continuer d'oeuvrer sur ces questions. Au terme de travaux conduits entre janvier et mai derniers par Jacqueline Eustache-Brinio, 29 sénateurs LR s'apprêtent ainsi à publier un rapport et 17 recommandations pour "un réarmement républicain global face à l'offensive islamiste", dont Localtis a pu prendre connaissance.
Certaines d'entre elles ont déjà fait la une de la presse. Ainsi de la proposition d'interdiction du voile ("étendard de l'apartheid sexuel") et du jeûne pour les moins de 16 ans, récemment remise en lumière par la présence de plusieurs fillettes voilées dans l'hémicycle du Palais-Bourbon, dans le cadre d'une visite organisée par la collaboratrice et suppléante de l'ancien ministre Marc Fesneau. Les sénateurs y préconisent également l'interdiction du port du voile par les accompagnatrices scolaires, autre mesure ô combien discutée, que le Sénat avait adoptée en 2019 (lire notre article), mais restée sans suite à l'Assemblée depuis. Comme ne manquera pas d’être vivement débattue également celle visant à "rendre obligatoire la neutralité confessionnelle des élus dans l'exercice de leur mandat et l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires", en visant "en particulier les élus locaux, notamment les maires et conseillers municipaux". Des élus, et des fonctionnaires (notamment les travailleurs sociaux, les éducateurs et les enseignants), que les sénateurs préconisent en outre de "former aux stratégies déployées par les réseaux islamistes". Une préconisation également formulée par Laurent Nuñez : ""Les maires ne peuvent pas être laissés de côté […]. On a aussi un travail de pédagogie à faire. C'est évidemment ce que je demanderai aux préfets", déclarait-il ainsi aux députés.
Parmi les autres recommandations qui intéresseront, moins directement, les élus locaux, on relèvera l'intensification "des actions d'entraves (dissolutions, fermetures de lieux)", le renforcement des obligations déclaratives pour tracer les financements des mosquées et associations ou encore la systématisation de la procédure d'audition des époux avant la transcription du mariage par les autorités consulaires françaises afin de lutter contre les mariages forcés.
› La menace de "l'infiltration des listes électorales" lors des prochaines élections municipales"Toutes les lois, tous les décrets, juges ou préfets n’effaceront pas la nécessité pour l’ensemble des partis politiques de lutter contre ces idéologies – à commencer par l’entrisme dans les listes des prochaines élections municipales ! Chaque formation politique, chaque commission d’investiture doit faire le ménage", a tonné, le 12 novembre dernier, le Premier ministre, Sébastien Lecornu. Davantage que la menace de "listes communautaristes" – lesquelles avaient agité les débats lors des municipales de 2020, notamment visées par Bruno Retailleau (lire notre article du 13 novembre 2019 et notre entretien du 10 février 2020, en fin d'article) –, c'est la "probabilité assez forte" de voir "des personnes qui vont s'agréger à un certain nombre de listes", dixit le ministre de l'Intérieur, lors des élections de mars prochain qui préoccupe aujourd'hui. Laurent Nuñez observe néanmoins que "c'est quand même extrêmement compliqué de s'y opposer". Et lui aussi de renvoyer la balle aux élus : "Les têtes de liste, évidemment, ou le haut de la liste, peuvent avoir évidemment l'information. Après, ce sont eux qui décident ou pas." Dans leur rapport, les sénateurs LR estiment également que "l'activité politique des Frères musulmans pèse sur les élections locales via l'infiltration des listes électorales, quelles qu'elles soient, témoignant d'une approche pragmatique et méthodique de conquête du pouvoir local". Les sénateurs soulignent toutefois que "cette tactique ne vise pas nécessairement à placer des candidats islamistes en position éligible mais plutôt à s'assurer une influence, quelle que soit l'issue du scrutin". Et le rapport de considérer que les communes de la première couronne d'Île-de-France constituent "un terrain idéal pour tester les capacités d'influence électorale des réseaux islamistes". Et ce, au regard, d'une part, du fait qu'elles "concentrent une population dense, jeune et socialement diverse" et, d'autre part, "sont particulièrement sensibles en raison de la présence d'infrastructures critiques (universités, centres de recherche, sites administratifs)". |