Ecophyto 2030 : un mauvais vaudeville ?

Alors que le gouvernement s’emploie à mettre la dernière main à la nouvelle stratégie de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques, qu’il veut présenter au prochain salon de l’agriculture, huit associations environnementales ont claqué la porte du comité d’orientation et de suivi (COS) du plan Ecophyto réuni pour discuter des derniers arbitrages. Le choix de l’indicateur à retenir pour mesurer les progrès réalisés cristallise principalement les oppositions.

Un an. C’est le temps qu’il devrait falloir à la nouvelle stratégie Ecophyto de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques pour sortir de terre. Semée lors du salon de l’agriculture de 2023 (voir notre article du 28 février 2023), elle devrait être présentée au même salon dans quelques jours – c’est l’objectif clairement affiché par le gouvernement. Si la pièce n’était pas encore jouée, elle semblait plutôt sur de bons rails (voir notre article du 2 novembre 2023). Mais la colère agricole de janvier a depuis compliqué la donne, contraignant le Premier ministre à placer ce nouveau plan sur pause, "le temps de mettre en place un nouvel indicateur et de reparler des zonages" (voir notre article du 1er février). Et c’est désormais un mauvais Vaudeville qui est en train de se jouer.

Portes qui claquent

Ce 12 février, huit associations environnementales* ont d’emblée claqué la porte du comité d’orientation et de suivi (COS) du plan Ecophyto, réuni pour discuter précisément de l’indicateur à retenir pour mesurer cette réduction. Les associations environnementales avaient déjà agi de la sorte lors du comité supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire en 2021 (voir notre article du 21 mai 2021) ou pratiqué la politique de la chaise vide lors de certains travaux du Varenne de l’eau (voir notre article du 31 mai 2021). Le motif de leur courroux ? Le refus du ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, de les laisser lire en préambule de la réunion une déclaration commune qu’elles avaient préparée. "L’invitation qui nous a été envoyée jeudi dernier ne contenait ni ordre du jour ni documents de travail en préparation de cette réunion. Or comment envisager dans ces conditions, en deux heures avec près de 80 participants et 4 ministres [Catherine Vautrin, Marc Fesneau, Christophe Béchu et Sylvie Retailleau] qu'il s'agit là d'une volonté de travailler dans une logique de concertation et d'écoute ?", justifie Générations Futures, l’un des co-signataires. Pour ces organisations, le ver était dans le fruit avant même la réunion de travail, puisqu’elles indiquent ne pouvoir "cautionner ce probable retour en arrière".

Soliloquie ?

Le ministère de l’Agriculture fait au contraire valoir qu’en claquant la porte, les ONG se sont "privées de la possibilité de faire valoir leurs points de vue". Il déplore plus largement leur refus de la discussion : "Ces associations, reçues spécifiquement par les 4 ministres avant la réunion pour entendre leurs attentes, ont exprimé en début de COS leur volonté de ne pas dialoguer ni participer, mais d’effectuer une déclaration. Les ministres ont rappelé que le format du COS était un dialogue et un échange entre les parties prenantes et donc ne souhaitaient pas transformer le COS en tribune où chacun lit une déclaration sans écouter les autres. Il n’est pas acceptable, alors qu’aucune décision n’a été prise, de quitter une réunion d’échange et de concertation. […] Dialoguer c'est aussi se respecter entre membres du conseil Ecophyto qui sont venus écouter et échanger pour avancer collectivement au bénéfice de l'intérêt général".

Un décor Potemkine ?

La réaffirmation, hier encore, par le gouvernement "de l’ambition de réduire de 50% l’usage des produits phytopharmaceutiques d’ici 2030" devait pourtant être de nature à faire monter les ONG sur les planches. En octobre dernier, Générations Futures avait d’ailleurs salué le fait que cet objectif "reste d’actualité" (voir notre article du 2 novembre 2023). Mais elles redoutent un décor Potemkine. Non sans argument. Ainsi, si la date butoir (2030) et l’ampleur du pas à opérer (-50%) sont fixés, la date de référence reste encore inconnue ! Une méthode surprenante, mais déjà éprouvée par la Commission européenne (voir notre article du 12 mai 2021). 

Plus encore, le choix de cette date de référence dépendra de l’indicateur retenu pour mesurer cette réduction. Et c’est là que le bât blesse. Jusqu’ici, le Nodu était l’indicateur historique des plans Ecophyto (pour NOmbre de Doses Unités, qui "correspond à un nombre de traitements 'moyens' appliqués sur l’ensemble des cultures en France, qui s’affranchit des substitutions de substances actives par de nouvelles substances efficaces à plus faible dose puisque, pour chaque substance, la quantité appliquée est rapportée à une dose unité qui lui est propre", précise le ministère).

Mais il pourrait être remplacé par un autre indicateur, le HRI1, contre lequel Générations Futures ne cesse de s’opposer. "Un indicateur mixte censé refléter à la fois la baisse de l’utilisation et du risque des pesticides", qui "utilise les quantités de substances utilisées en les pondérant par un coefficient censé refléter leur dangerosité. On ne sait donc pas exactement ce qu’il mesure", explique l’association. Et de mettre en avant le fait qu’entre 2011 et 2021, en France, "le Nodu agricole a augmenté d’environ 3% alors que le HRI1 a baissé de 32%". Pour l’association, retenir le HRI1 donnerait donc "une impression mensongère d’une réduction purement imaginaire". Et les ONG d’en faire "une ligne rouge". Côté agriculteurs, on relèvera que l’indicateur semble également laisser songeur, pour d’autres raisons : "Ecophyto, c’est comme faire un régime pour perdre du poids en réduisant de 50% son alimentation sans faire la différence entre les chips, le Nutella, les haricots verts et les lentilles ! Un truc dogmatique sans base scientifique !", s’insurge ainsi sur X Emmanuel Ferrand, agriculteur et par ailleurs maire de Saint-Pourçain-sur-Sioule et conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes.

Scène européenne

Au gouvernement, on s’emploie à préciser les choses : "Historiquement les efforts de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques ont été d’abord conduits sur les produits les plus dangereux. Comme le HRI1 pondère les substances en fonction de leur dangerosité, il est logique qu’il fasse ressortir des progrès plus importants". Par ailleurs, alors que la chasse à la "surtransposition" a de nouveau été réaffirmée par le président de la République (voir notre article du 26 septembre 2023), et le Premier ministre (voir notre article du 1er février), le gouvernement souligne que le HRI1 est l’indicateur sur lequel reposait le projet de règlement SUR – récemment rejeté par le Parlement européen et retiré par la Commission. Le retenir conforterait ainsi sa volonté de "ne pas faire du spécifique France". Le gouvernement relève enfin l’objectif de bâtir dans la nouvelle stratégie Ecophyto un "panel d’indicateurs", au sein duquel figurerait toujours le Nodu. "Il restera. On ne casse pas le thermomètre", assure le gouvernement. 

Registres et zonage

Deux autres sujets sensibles restent par ailleurs en discussion. 

• Celui des registres, d’abord. Générations Futures plaide pour que les registres d’épandage soient tenus par voie électronique et consultables librement en ligne. Si "la directive SUD prévoit un registre numérique individuel, par exploitation, à partir de 2026", assure le gouvernement, il alerte : "La question, c’est la protection des données individuelles". Autre sujet : "Le projet de règlement SUR (qui devait remplacer la directive SUD – voir notre article du 23 juin 2022) prévoyait la mise en place d’un registre national centralisé. [Ce règlement étant mort-né], la question du maintien d’un tel registre s’est posée", et se pose visiblement encore. Pour mémoire, une telle base de données avait notamment été préconisée en 2020 par la mission d’information de l’Assemblée sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate). Enfin, rappelons au passage qu’un règlement d’exécution de la Commission de juillet dernier a par ailleurs précisé les statistiques sur les produits phytopharmaceutiques que les États membres devront désormais adresser à Eurostat. 

• Celui des zonages, ensuite. "Ecophyto ne crée pas de zonages", insiste le gouvernement (Générations Futures plaidant pour qu’il en aille différemment – voir notre article du 16 janvier). "L’enjeu, c’est d’avoir un outil pour que les agriculteurs aient une meilleure connaissance des zonages autour de leurs parcelles", précise-t-il.

* Alerte des médecins sur les pesticides, Fondation pour la nature et l’Homme, France Nature Environnement, Générations Futures, Humanité et Biodiversité, Ligue de protection des oiseaux, Réseau environnement santé et WWF France.