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La CNCDH plaide pour restaurer la police de proximité… mais ne veut pas de police municipale

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) adresse une vingtaine de recommandations aux pouvoirs publics pour "rétablir la confiance entre la police et la population". Si la plupart d'entre elles sont courantes, les réserves – vertement – exprimées à l'égard des polices municipales, pourtant hors spectre de l'avis, sont, elles, particulièrement dissonantes.

Dans un avis sur les rapports entre police et population – sujet récemment évoqué par le Beauvau de la sécurité – adopté le 11 février dernier et publié au Journal officiel le 21 février, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) adresse une vingtaine de recommandations aux pouvoirs publics afin de réformer "structurellement" les forces de gendarmerie et de police nationale, et "plus particulièrement" cette dernière.

Ses préconisations sont pour la plupart assez convenues, maintes fois formulées : renforcement des formations initiale et continue, renforcement de l'encadrement des jeunes recrues affectés dans des "quartiers sensibles" et "ignorants des spécificités des territoires sur lesquels ils patrouillent", renforcement du contrôle des agents, mise en place de caméras-piétons "fonctionnelles" avec un enregistrement systématique des interventions, encadrement des contrôles d'identité avec notamment l'établissement d'un récépissé, professionnalisation de l'accueil, remise en cause de la "politique du chiffre" ou encore restauration d'une "authentique" police de proximité.

Restaurer une "authentique" police de proximité

Celle lancée en 2018 n'a selon la CNCDH "pas rempli ses promesses" – rejoignant ici le président de la FFSU, Roger Vicot –, se manifestant "en pratique par un renforcement des effectifs dans les quartiers difficiles, sans redéfinition de leurs missions" et ne se concrétisant "que par la création de 47 'quartiers de reconquête républicaine' que leur désignation même inscrit dans une rhétorique stigmatisante, non démentie par la priorité donnée à l'approche répressive (notamment en matière de lutte contre les trafics) dans les discours qui lui sont consacrés".

La CNCDH "considère donc urgent de rétablir une authentique police de proximité", avec "une présence policière accrue, assurée par un maillage territorial resserré et des agents ancrés dans leurs territoires, disponibles et à l'écoute des citoyens" et "des partenariats systématiquement mis en place avec les maires, les bailleurs sociaux, les associations de résidents et de quartier" devant "se traduire par l'organisation de rencontres fréquentes entre les habitants et les policiers affectés à leur territoire". Elle recommande en outre de "veiller à une répartition égale sur tout le territoire des commissariats et gendarmeries, en mettant en place, au besoin, des permanences régulières en mairie quand les locaux sont trop éloignés".

L'essor des polices municipales, obstacle "à la pacification des rapports police-population"

La CNCDH sait toutefois se faire plus dissonante. Singulièrement lorsqu'elle considère que "l'attribution croissante de missions de police judiciaire à la police municipale", qu'elle "déplore", "ne va pas dans le sens d'une pacification des rapports entre la police et la population, et ne peut qu'encourager un désengagement de l'État et de la police nationale au profit d'agents chargés de mettre en œuvre les priorités de certains élus locaux, particulièrement sensibles aux enjeux électoraux".

De même lorsqu'elle s'inquiète d'un "dévoiement du pouvoir de verbalisation de la police à l'encontre de certaines catégories de la population à des fins d'éviction de l'espace public ou d'intimidation", qui prend selon elle "la forme de contraventions à répétition, liées à des 'incivilités' ou à des troubles à la tranquillité publique : le tapage (nocturne ou diurne), le 'déversement de liquide insalubre' (qui s'applique en général aux crachats) et le 'dépôt de déchets hors des emplacements autorisés'" ou encore "les infractions à la circulation routière (stationnement, conduite sans certificat d'immatriculation, etc.)".

Au moment où le Premier ministre et le garde des Sceaux ont fait de la lutte contre la "délinquance du quotidien" une priorité, relayés en la matière à l'unanimité ou presque par le Parlement, au moment où la lutte contre le dépôt sauvage de déchets, qui pourrit le quotidien des élus locaux (quand il n'est pas la cause de leur agression, parfois mortelle) vient de faire l'objet de nombreuses mesures législatives (recours à la vidéoprotection avec la loi OFB du 24 juillet 2019, mesures de la loi Économie circulaire), au moment où le phénomène croissant de conduite sans permis et/ou sans assurance inquiète, voilà qui n'est assurément pas banal.

La position l'est d'autant moins que la CNCDH estime que "la proposition de loi relative à la sécurité globale actuellement en discussion au Parlement, en octroyant de nouveaux pouvoirs de verbalisation au bénéfice de la police municipale, ne peut d'ailleurs que nourrir les craintes d'une instrumentalisation locale des questions de sécurité".

À l'heure – de gloire – du continuum de sécurité, on déplorera d'ailleurs la focalisation, malheureusement habituelle, de l'avis sur la seule police nationale. Cette restriction du champ d'étude est d'autant plus regrettable que la CNCDH se dit elle-même "consciente que la question des rapports entre forces de sécurité et population mériterait une réflexion plus large, en particulier dans un contexte de transfert accru […] des fonctions de contrôle et de surveillance au bénéfice des policiers municipaux et, surtout, d'agents privés de sécurité". Un transfert à l'égard duquel la CNCDH exprime par ailleurs "sa plus grande réserve". Si les polices municipales obtiennent plutôt des résultats favorables dans les récents sondages et enquêtes d'opinion, ou dans les rapports parlementaires, on aura compris qu'elles ne trouvent pas grâce aux yeux de la commission. Pour preuve : pour l'élaboration de cet avis, "fruit d'une réflexion menée depuis près d'un an et nourrie de nombreuses auditions", aucun représentant de la police municipale n'a été entendu sur les 35 personnes auditionnées. Et un seul maire – celui de Bagnolet – l'a été (comme quatre autres personnes de cette même ville). Bagnolet qui est "l’une des rares villes de Seine-Saint-Denis à ne pas avoir de police municipale"*, comme le soulignait Édouard Denouel, aujourd'hui troisième maire-adjoint de la ville, dans un billet de son blog en août 2019 dans lequel il relevait que "depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, les Bagnoletais sont les témoins d’une augmentation des incivilités (tapages, dépôts sauvages…), des dégradations, des cambriolages et des agressions (vols à l’arrachée notamment) dans leur ville".

* D'après le ministère de l'Intérieur, en 2019, Bagnolet était l'une des six villes de Seine-Saint-Denis à ne pas compter de policiers municipaux (0 policier et 12 ASVP).

 

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