L'Opecst plaide lui aussi pour l'électrification rapide des usages, en visant singulièrement la protection du réseau
Dans un rapport sur "les impacts technologiques du mix énergétique et ses conséquences sur l'outil industriel et les réseaux", l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) recommande de "donner la priorité à l'électrification des usages" alors que la demande d'électricité stagne voire régresse. Les membres de l'Office soulignent que cette baisse, couplée à l'essor des énergies intermittentes, n'est pas sans peser sur la stabilité du réseau, aujourd'hui principalement assurée par les énergies pilotables – dont le nucléaire, ce qui pourrait ne pas être sans dommage sur le parc existant. Pour limiter la pression sur ces dernières, ils plaident pour faire contribuer les producteurs d'énergies intermittentes à l'équilibrage du réseau, par ailleurs appelé à être profondément modifié, ou encore pour accélérer le déploiement de nouvelles capacités de stockage électrique, le tout en tirant les leçons d'expériences étrangères.
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Les plaidoyers pour "l'électrification rapide des usages" s'enchaînent. Quelques jours avant RTE (lire notre article du 9 décembre), c'est l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) qui avait lancé cet appel, dans un rapport sur "l'impact technologiques de l'évolution du mix énergétique et ses conséquences sur l'outil industriel et les réseaux" rédigé par le député Joël Bruneau (Calvados, Liot) et le sénateur Patrick Chaize (Ain, LR).
Conjurer la surproduction
On sait que cette électrification est nécessaire pour atteindre la décarbonation et renforcer la souveraineté énergétique. Les parlementaires soulignent qu'elle l'est aussi pour conforter une demande d'électricité qui "stagne, voire régresse depuis 2010", en raison de la désindustrialisation, "particulièrement marquée dans les secteurs à forte intensité électrique", d'une plus grande efficacité énergétique, du renforcement de la sobriété énergétique, voulue ou subie (du fait de la hausse des prix), etc.
Car couplée à "l'accroissement rapide des productions intermittentes en France et en Europe" (solaire photovoltaïque, éolien…), les parlementaires rappellent que cette baisse n'est pas sans entraîner "un risque de surproduction" – qui se concrétise déjà – d'autant plus problématique que la "pilotabilité" de ces énergies reste "limitée". Lesquelles, ajoutent-ils, n'offrent en outre "en règle générale, aucun service contribuant à la stabilité du réseau", le tout au risque de mettre à mal ce dernier.
Coûteuse stabilité du réseau
Les parlementaires attirent l'attention sur les nombreux efforts, mis en œuvre ou envisagés, pour maintenir à l'équilibre ce réseau, parmi lesquels :
- le recours accru à la modulation de la production nucléaire, au risque – discuté mais redouté – d'un vieillissement accru des installations ;
- plus largement, des "investissements de flexibilité très substantiels", au risque "d'impacter le coût final" de l'électricité ("les trois pays analysés comme ayant une forte pénétration des énergies renouvelables – Allemagne, Espagne, Danemark – affichent les prix les plus élevés", est-il observé) ;
- le "renforcement de la mise à contribution de l'industrie [parmi d'autres] à la flexibilité de la demande", possibilité actuellement "étudiée par l'Union européenne" au risque de se faire "au détriment [du] modèle d'affaires" desdites industries ; les auteurs jugent toutefois plus largement que le levier de la flexibilité est "essentiel mais peu exploité" ;
- la mise à l'arrêt d'installations pour éviter les congestions, ou des périodes prolongées de prix négatifs, le tout alimentant le risque d'actifs de production "sous-utilisés, voire échoués", "ce qui pourrait se traduire par des surcoûts considérables pour les contribuables" ;
- ou encore la nécessité d'interconnexions transfrontalières renforcées, lesquelles sont à la fois "une force et un facteur de risque", nécessitant dans tous les cas "un pilotage fin".
Nécessaire adaptation du réseau transfrontalier…
Des interconnexions qui connaissent en outre des limites "techniques, réglementaires et économiques" (en raison "des investissements lourds" qu'elles nécessitent), observent les auteurs. "Bien que l'Union européenne se soit fixé un objectif d'interconnexion portant sur au moins 15% de la capacité de production d'ici 2030, certains États – comme la France – sont encore en deçà, en partie à cause de limites techniques", précisent-ils. Un constat tout récemment dressé par la Commission européenne, qui n'entend pour autant nullement céder à la résignation, bien au contraire (lire notre article du 10 décembre). Il est vrai que, note le rapport, "les États fortement dépendants des énergies renouvelables, comme le Danemark, mettent fréquemment à profit" ces interconnexions, par nécessité. Soit pour évacuer leur surproduction (situation qu'a connue fréquemment l'Allemagne, où les coûts d'effacement sont estimés à un montant oscillant entre 1,5 et 4 milliards d'euros en 2024, alors qu'ils s'élèvent en France à 100 millions d'euros en moyenne, est-il relevé). Soit au contraire pour bénéficier de l'apport de l'électricité étrangère quand la bise vient. C'est là encore le cas de l'Allemagne (où la part des EnR intermittentes atteignait l'an passé 41,8% dans la production nationale d'électricité en général, mais 18% seulement en décembre dernier, EnR non intermittentes incluses) et de l'Espagne (40,3% d'EnR intermittentes), deux pays qui présentent "le plus grand nombre d'heures par an où la demande n'est pas couverte". Mais aussi du Danemark (68,9%), dont le rapport relève que s'il a interdit l'installation de centrales nucléaires, il a recours au soutien suédois, "dont la production est en partie d'origine nucléaire" (le royaume a lancé en mai une étude pour évaluer la levée de cette interdiction).
… et national…
Le rapport souligne que "l'intégration massive des renouvelables" nécessite également l'adaptation d'un réseau français jusqu'ici "fortement centralisé et hiérarchisé", et qui doit dorénavant composer avec des énergies renouvelables "décentralisées" et "souvent implantées dans des zones éloignées des principaux pôles de consommation". Un changement de configuration – "dans le modèle historique, les flux partent des centrales électriques, connectées au réseau de transport, et vont vers les consommateurs, connectés au réseau de distribution" alors qu'à la fin 2022, "90% des énergies intermittentes étaient directement connectées au réseau de distribution" – qui "induit une transformation des flux électriques […] susceptible de conduire à des surtensions locales ou des défaillances".
… y compris pour le réseau gazier
Un phénomène également observé sur le réseau gazier : alors que le gaz naturel est importé à la demande via les interconnexions avec les pays voisins ou des terminaux méthaniers, le "biométhane est produit localement, souvent dans des zones rurales et tout au long de l'année, ce qui modifie aussi les conditions d'exploitation des capacités de stockage", mettent en lumière les rapporteurs. Plus largement, ces derniers soulignent que "la transition énergétique, en bouleversant la nature des gaz acheminés, les volumes transportés et la structure de la demande, appelle une refondation technique du réseau gazier français". Singulièrement pour accueillir l'hydrogène, qui "nécessite de nombreuses adaptations techniques".
Nécessité d'un pilote d'avion, à plusieurs moteurs…
Autant de défis qui conduisent les rapporteurs à insister sur l'importance d'avoir un pilote dans l'avion : "L'expérience des pays à forte pénétration d'énergies renouvelables intermittentes montre que leur développement rapide nécessite une planification rigoureuse, qui doit impliquer le gestionnaire du réseau électrique (RTE pour la France)".
Dans la même veine, ils plaident pour que l'étude d'avant-projet d'EnR prenne en considération "la proximité des infrastructures de transport d'électricité, la stabilité du réseau et la complémentarité avec d'autres sources d'énergie". Loin d'opposer énergies renouvelables et nucléaire, les auteurs soulignent ainsi que "le déploiement de moyens de production pilotables permet d'accompagner la transition écologique" – pour ne pas dire conditionne, au moins pour l'heure, en l'état de la technique. Ils recommandent en conséquence de "veiller à entretenir et moderniser le parc actuel, qu'il soit hydraulique ou nucléaire" des "sources pilotables", qui "sont en quelque sorte 'l'assureur' du réseau électrique". Mais aussi de "veiller à réduire la pression" sur ces derniers, en "étudiant la possibilité de faire contribuer les producteurs d'électricité non pilotables à l'équilibrage du réseau" afin de "répartir équitablement les contraintes".
… avec des soutes remplies et de la visibilité
Autre recommandation formulée, "l'accélération du déploiement de nouvelles capacités de stockage électrique". En priorité les Step (solutions de transfert d'énergie par pompage) – "seuls moyens de stockage réellement efficaces aujourd'hui", enseignait un récent rapport du Sénat (lire notre article du 4 juillet 2024) –, dont l'essor était contrarié par le contentieux sur le régime des concessions hydrauliques initié par la Commission européenne. Un frein qui devrait désormais pouvoir être levé suite à l'accord récemment obtenu avec cette dernière (lire notre article du 2 octobre). Mais aussi "les systèmes de stockage par batteries pour les besoins de court terme, pour réduire la modulation du parc nucléaire".
Un parc dont les sénateurs souhaitent par ailleurs inscrire l'évolution "dans une perspective plus lointaine que celle du prochain réexamen décennal de sûreté" afin "d’optimiser les investissements à répartir entre la prolongation du parc actuel et la mise en place d’autres moyens de production décarbonés et d’assurer une stabilité de production compatible avec les objectifs climatiques et industriels de la France".