Premières assises de la coopération transfrontalière : Bridge4EU, un nouvel espoir
La Mission opérationnelle transfrontalière (MOT) a organisé, ce 4 décembre, ses premières assises nationales de la coopération transfrontalière. Si la manifestation a été l'occasion de déplorer une nouvelle fois les blocages rencontrés par les bassins de vie transfrontaliers, le règlement Bridge4EU n'est pas sans susciter un nouvel espoir. Tout juste nommé, l'ambassadeur pour les commissions intergouvernementales, la coopération et les questions frontalières a profité de l'occasion pour dessiner les contours de la future gouvernance française qui sera chargée de donner vie au texte. Elle devrait s'appuyer à la base sur les conseillers diplomatiques des préfets de région, avec au sommet un nouveau comité interministériel à la coopération transfrontalière, aux missions plus larges.
© F. Fortin/ Joël Meyer et Olivier Baudelet
"Le projet Régiolis transfrontalier France-Allemagne bientôt sur les rails." Dans un communiqué du 6 novembre dernier, la région Grand Est se félicitait de la prochaine circulation, "dès la fin du premier trimestre 2026", des 30 rames qu'elle a commandées en 2019 pour assurer les liaisons régionales franco-allemandes (lire notre article du 23 janvier 2020). Une victoire au goût amer toutefois, puisque si les rames circulent déjà sur le réseau Fluo Grand Est, elles doivent encore patienter avant de pouvoir traverser le Rhin. En effet, les trains auront beau avoir été "conçus par des ingénieurs français et allemands et cofinancés par les landër de Bade-Wurtemberg, de Rhénanie-Palatinat et de Sarre", ils n'ont pour l'heure pas encore été homologués côté allemand, "en raison d'un changement de réglementation sur le module de freinage d'urgence, pris au niveau fédéral", explique la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT). L'anecdote témoigne des difficultés continuellement rencontrées par les transfrontaliers, en dépit des traités d'Aix-la-Chapelle, du Quirinal, de Barcelone ou autres déclarations qui restent, trop souvent, de bonnes intentions.
Tarte à la crème
"Des blocages", des "contrôles excessifs", et plus généralement une récente tendance au "repli sur soi" qui exaspèrent Christian Dupessey, maire d'Annemasse et président de la MOT, "alors que tous ensemble, on devrait se consacrer à d'autres défis bien plus graves et pesants sur notre avenir commun – les transitions démographique, écologique, énergétique, numérique". La situation n'a malheureusement rien de nouvelle, et pourrait même faire figure de tarte à la crème. Mais en ouvrant, ce 4 décembre, les premières "assises nationales de la coopération transfrontalière" organisées par cette association, l'élu se fait optimiste. La raison ? L'adoption récente du règlement Bridge4EU (lire notre article du 17 décembre 2024), dans lequel il décèle "une opportunité majeure pour renforcer l'intégration transfrontalière et résoudre les défis quotidiens des bassins de vie transfrontaliers".
Une opportunité, mais pas encore une réalité, tempère le député européen Sandro Gozi, qui a porté à bout de bras ce projet initié par le Luxembourg en 2015, et dont il a hérité, confesse-t-il, en raison de sa mort annoncée, mais finalement conjurée. "Ce n'est pas parce qu'il a été publié au Journal officiel qu'il va porter ses fruits", insiste-t-il, invitant les États membres "à exploiter le potentiel" de cet "éliminateur d'obstacles". Ce qui suppose en premier lieu de mettre en place les "points de coordination transfrontalière" prévus par le texte. Une invite également lancée par Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse, qui voit elle-aussi dans ce texte "un tournant sur le plan juridique"… à la condition qu'"existe une volonté politique forte, européenne et nationale de le mettre en œuvre", et plus largement "de soutenir les acteurs locaux".
Millefeuille
Du côté de l'État français, le tout nouvel ambassadeur "pour les commissions intergouvernementales, la coopération et les questions frontalières" Joël Meyer, nommé par décret du 22 octobre, l'assure, cette volonté existe bel et bien. "L'intention est, bien évidemment, de le mettre pleinement en œuvre", déclare-t-il, non sans ajouter un léger bémol : "autant que faire se peut, évidemment, parce qu'il a toujours quelques réserves ou des discussions à mener".
Des discussions, justement, il en existe encore sur le dispositif précis que le gouvernement entend mettre en œuvre en la matière, même si ses contours semblent désormais bien dessinés. Il devrait dans tous les cas répondre à deux principes : sobriété administrative et subsidiarité. "On ne va pas rajouter une couche au millefeuille administratif", promet d'abord Joël Meyer, d'autant qu'il relève "qu'on ne part pas de rien". Il est vrai qu'en matière transfrontalière, comme ailleurs, le millefeuille passe mal (lire notre article du 24 février 2023). Noelia Souque, ambassadrice pour la coopération transfrontalière de la principauté d'Andorre, en a témoigné, l'érigeant même au premier rang des difficultés qu'elle rencontre avec la France : "Avec des projets qui paraissent très simples, ça peut se compliquer très rapidement, parce que la compétence entre département, région, État n'est pas forcément évidente [à distinguer]", confesse-t-elle.
Gâteau à étages
Ensuite, Joël Meyer décrit un gâteau à trois étages. À la base, "probablement, des points de coordination, de facilitation, sous la responsabilité du préfet de région" et "en coordination avec les élus". Une direction qu'imaginait d'ailleurs Sandro Gozi auprès de Localtis (lire notre entretien du 23 juin) et qui n'est pas sans répondre aux préconisations de l'IGA (lire notre article du 24 février 2023). Concrètement, seraient mobilisés les conseillers diplomatiques exerçant auprès des dits préfets. Conseillers qui ont d'ailleurs été réunis les 21 et 22 octobre derniers à Paris, pour une réunion au cours de laquelle Jean Peyrony, directeur général de la MOT, leur a présenté ledit règlement.
À l'étage supérieur, auquel l'obstacle soulevé serait "remonté" en cas d'absence persistante de solution, un point de coordination national, qui serait composé des services existants : ANCT, DGCL, ministère des Affaires étrangères. "Avec l'appui de la MOT", souligne cette dernière. Enfin, dans le cas où ce point national ne parviendrait pas à résoudre la difficulté, il remonterait lui-même cette dernière auprès d'un futur "comité interministériel à la coopération transfrontalière", présidé par le Premier ministre, mais qui ne sera pour autant pas dédié à Bridge4EU, insiste Joël Meyer. "Ce comité, c'est une revendication de la MOT depuis 20 ans", observe Christian Dupessey. Il est dans les limbes depuis plusieurs mois déjà, si ce n'est plus. Frédéric Cholé, délégué pour les collectivités territoriales et la société civile au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, rappelle ainsi qu'il a été "évoqué par le ministre Jean-Noël Barraud à l’occasion de son déplacement à Lille et Dunkerque en juin".
Il pourrait voir le jour début 2026. "Il ne faut pas tarder", enjoint Christian Dupessey, en soulignant par ailleurs que "les obstacles, on les connait". Sur ce point, Joël Meyer n'en disconvient pas : "On a même des listes", déclare-t-il, en mentionnant par exemple le rapport d'information présenté en mars par la député Brigitte Klinkert (Haut-Rhin, EPR).
Des bougies magiques au mieux, mais pas de baguette
"On ne réglera pas tout d'un coup de baguette magique", prévient néanmoins Christian Dupessey. D'autant que la source des difficultés est parfois à rechercher sur un versant français "un petit peu en déficit de compétitivité", note Jean Peyrony. Il évoque ainsi, comme d'autres, "certaines frontières, je pense à la Suisse ou au Luxembourg, où l'économie et l'emploi sont littéralement aspirés par l'autre versant". Au point qu'il en viendrait presque à déplorer un "trop d'Europe" : "Il faut sûrement achever le marché intérieur, mais dans les limites de ce qu'on pourrait appeler le bien commun transfrontalier", explique-t-il ainsi. Si la véritable réponse est sans doute surtout à chercher dans une relance de la compétitivité hexagonale, le directeur général de la MOT propose des pistes qui pour être caillouteuses, paraissent moins improbables, comme la création de zones franches, la révision des conventions fiscales bilatérales ou encore une "solidarité financière transfrontalière", avec des "fonds d'aménagement transfrontalier". Une politique de cohésion, en somme ?
› Interreg post-2027 : attention au départ !Si la réforme du cadre financier pluriannuel présentée par Ursula von der Leyen suscite un vif mouvement de rejet, les collectivités seraient bien inspirées de ne pas trop miser sur sa remise à plat. D'abord parce que la présidente de la Commission n'entend guère dévier de sa ligne (lire notre article du 14 novembre 2025), même si c'est au Conseil qu'il reviendra in fine de trancher (à l'unanimité), après approbation du Parlement. Ensuite parce que si cette architecture devait être adoptée en l'état, ou dans une forme approchante, le calendrier sera plus que resserré, comme le met en exergue Olivier Baudelet, "expert senior" de la DG regio, en évoquant les programmes Interreg : "Notre objectif politique, c'est d'avoir le règlement adopté fin 2026. Les programmes devant être déposés dans les six mois qui suivent l'entrée en vigueur des règlements, on devrait globalement les avoir au 30 juin 2027 au plus tard". En tenant compte de la période d'instruction par la Commission de quatre mois, "plus le temps de discuter et de négocier tout cela, potentiellement les nouveaux programmes commenceront début 2028", indique-t-il. "Moralité de l'histoire, il vaut mieux commencer à travailler dès maintenant, au moins sur le contenu", préconise le fonctionnaire. D'autant plus que si la proposition de la Commission s'inscrit selon lui dans une "grande continuité" s'agissant d'Interreg – "les programmes resteront séparés des plans nationaux, le budget est à peu près le même, il est même en légère augmentation, un miracle dans le contexte actuel" et leur nombre ne devrait pas être modifié –, il y aura tout de même un changement d'importance : une gestion désormais "fondée sur les résultats, et plus sur les coûts". Ce qui suppose à tout le moins de fixer les objectifs à atteindre et de déterminer les indicateurs idoines. |