Stupéfiants : une augmentation généralisée, mais des spécificités territoriales

Une étude du SSMSI confirme que le nombre de mis en cause pour trafic ou usage de stupéfiants est en nette augmentation en France depuis 2016. Si le cannabis reste la substance la plus répandue chez les mis en cause, sa part relative diminue compte tenu d'une progression moins exponentielle que d'autres substances – par ailleurs toujours plus nombreuses –, comme la cocaïne. L'étude confirme également l'existence de fortes disparités territoriales : à gros traits, l'héroïne dans le Nord et l'Est, la cocaïne en Guyane/Martinique, sur le pourtour méditerranéen et en Île-de-France, les drogues de synthèse et le crack à Paris. L'étude observe encore un rajeunissement des mis en cause pour trafic, et un doublement de la part des étrangers chez ces derniers.

Une nouvelle étude du service statistique de la sécurité intérieure (SSMSI) sur l'usage ou le trafic de stupéfiants depuis 2016 fait sans surprise état d'une "nette augmentation" des mis en cause : +6% en moyenne annuelle pour le trafic, +16% pour l'usage, dernier taux dont la croissance est influencée, depuis le 1er septembre 2020 (lire notre article), par la mise en place des amendes forfaitaires délictuelles.

Des substances toujours plus nombreuses

Le cannabis est la substance la plus souvent impliquée dans les infractions constatées : 92% des mis en cause pour usage (soit 260.900 personnes) et 78% pour trafic (soit 39.400 personnes) l'ont été – au moins – pour cette substance l'an passé. Le nombre de ces mis en cause pour cette substance a en outre fortement augmenté depuis 2016 : +35% pour trafic et +74% pour usage. Pour autant, sa part relative diminue au profit d'autres produits stupéfiants, lesquels "ne cessent de se diversifier". Si la kétamine et les cathinones enregistrent les plus fortes hausses (nombre de mis en cause pour usage multiplié respectivement par cinq et onze), ces dernières restent encore peu répandues comparativement à la cocaïne, deuxième substance la plus vendue et consommée par les mis en cause. Elle concernait ainsi 43% des mis en cause pour trafic de stupéfiants et 10% pour usage en 2024. Une substance qui connait elle aussi une forte croissance depuis 2016 : +176% de mis en cause pour trafic et un doublement des mis en cause pour usage. Troisième sur le podium, l'héroïne (7,8% des mis en cause pour trafic et 2% pour usage en 2024) est la plus en retrait : +12% de mis en cause pour trafic depuis 2016, et même -34% pour usage. À l'inverse de l'ecstasy/MDMA, les mis en cause pour trafic de cette dernière substance ayant augmenté de 118% depuis 2016, et ceux pour usage de 78%. En 2024, l'ecstasy concernait 6,3% des mis en cause pour trafic de stupéfiants et 1,9% pour usage.

Héroïne dans le nord et l'est de la France

Comme l'a notamment mis en lumière le chercheur Michel Gandilhon (lire notre entretien du 13 mai 2024), l'étude confirme que ces différences substances connaissent une distribution territoriale disparate (lire notre article du 26 juin). 

L'étude observe ainsi que l'usage et le trafic d'héroïne – que le chercheur qualifie de "drogue des perdants de la mondialisation" – est plus important dans le nord et l'est de la France. 

Le SSMSI recense ainsi plus de 25 mis en cause pour usage pour 100.000 habitants dans le Pas-de-Calais, les Ardennes, le Nord, la Haute-Marne, les Vosges, la Somme, la Meurthe-et-Moselle et la Meuse, département qui compte même plus de 100 mis en cause pour 100.000 habitants. L'étude pointe que seules 47 communes regroupent plus de la moitié des 5.700 mis en cause pour usage, les trois communes comptant le plus de mis en cause étant Lille, Amiens et Calais – "davantage qu'à Paris malgré une population très inférieure". 

S'agissant du trafic, les départements les plus touchés au regard de la population (plus de 20 mis en cause pour 100.000 habitants) sont le Doubs, la Côte-d'Or, la Drôme, la Somme, la Meurthe-et-Moselle, la Haute-Marne et la Meuse (40‰ pour ce dernier). "Dans la Meuse, la Haute-Marne, la Somme et les Vosges, il y a même davantage de mis en cause pour trafic d'héroïne que de cocaïne", est-il souligné.

La cocaïne sur le pourtour méditerranéen et en Île-de-France

S'agissant de la cocaïne, la Guyane, du fait de sa proximité avec les zones de production (comme la Martinique), est le département le plus touché par le trafic (1 mis en cause pour 340 habitants). Mais le phénomène affecte également singulièrement les départements du pourtour méditerranéen (Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Var, Alpes-Maritimes, Pyrénées-Orientales) et franciliens (Paris, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) ainsi que la Haute-Garonne (plus de 50 mis en cause pour 100.000 habitants pour ces départements, contre 32 pour la moyenne nationale). Pour l'usage, comptent plus de 80 mis en cause pour 100.000 habitants (contre 44 en moyenne nationale) Paris, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, le Vaucluse, les Hautes-Pyrénées et… la Meuse.

Drogues de synthèse et crack concentrés à Paris

Deux autres substances sont par ailleurs "relativement concentrées dans l'espace", pour l'essentiel à Paris : les drogues de synthèse d'une part (plus d'un mis en cause sur 6 à Paris), et le crack d'autre part (plus de la moitié de mis en cause à Paris). L'étude relevant que ce dernier est "le produit stupéfiant avec la plus grande part d'étrangers parmi les mis en cause : en 2024, 47% des mis en cause pour trafic ("dont 84% de nationalité d'un pays africain") et 41% pour usage ("81% de nationalité d'un pays africain").

Des mis en cause pour trafic de plus en plus jeunes, et plus souvent étrangers

L'étude observe d'ailleurs plus largement une forte augmentation de la part des étrangers (8% de la population) parmi les mis en cause pour trafic de stupéfiants, qui passe de 12% en 2016 à 22% en 2024. Elle fait également état d'un rajeunissement des mis en cause pour trafic (plus des deux tiers ont moins de 30 ans), avec un âge médian passant entre 2016 et 2024 de 28 à 24 ans pour l'héroïne, de 25 à 22 ans pour la cocaïne et de 22 à 21 ans pour le cannabis.

Des mis en cause pour usage en apparence plus âgés

À l'inverse, pour l'usage de stupéfiants, l'âge médian a augmenté entre 2016 et 2024. Un vieillissement du consommateur mis en cause à relativiser toutefois, puisque l'étude l'explique notamment par la mise en place de l'amende forfaitaire délictuelle en 2020, "auxquelles les mineurs sont inéligibles". Le SSMSI met en outre en lumière de fortes disparités en fonction des substances : si l'âge médian du mis en cause pour usage est de 37 ans pour d'héroïne et de 31 ans pour la cocaïne, il n'est que de 24 ans pour le cannabis.

La cocaïne, premier marché des drogues illicites en valeur, devant le cannabis

Le trafic de cocaïne a généré le plus d'argent sur le marché des drogues illicites en France métropolitaine en 2023, avec un chiffre d'affaires moyen estimé à 3,1 milliards d'euros, devant le cannabis (2,7 milliards), stupéfiant bien plus consommé, selon une autre étude, publiée ce 8 décembre, émanant cette fois de l'OFDT.

Cette recherche, menée par deux professeurs de l'Université de Lille, Christian Ben Lakhdar et Sophie Massin, estime à 6,8 milliards d'euros le chiffre d'affaires global du marché des drogues illicites en France (hors outre-mer) en 2023, soit près du triple enregistré en 2010 (2,3 milliards). Cette estimation moyenne, à 6,8 milliards d'euros, est comprise, comme toutes les autres valeurs de la recherche, entre une estimation basse, à 3,8 milliards d'euros et une estimation haute, à 9,7 milliards.

Principal enseignement de cette recherche relayée par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) et financée par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) : la forte hausse du chiffre d'affaires du marché de la cocaïne. Entre 2010 et 2023, il est passé, en moyenne, de 902 millions à 3,1 milliards d'euros, devant le marché du cannabis, (de 1,1 milliard à 2,7 milliards). "Le cannabis et la cocaïne génèrent à eux seuls environ 90% du total du chiffre d'affaires des drogues illicites en 2023", expliquent Christian Ben Lakhdar et Sophie Massin, dans cette note publiée par l'OFDT. Entre 2010 et 2023, les quantités de cocaïne consommées ont triplé, selon l'estimation moyenne, de 15 tonnes à 47,1 tonnes, largement derrière le cannabis, premier marché en volume, avec une consommation passée de 224,5 tonnes à 397,4 tonnes (hors dons et autoculture). L'évolution "du ratio prix-pureté" de la cocaïne "fait de cette substance un produit de plus en plus bon marché et donc accessible au plus grand nombre", alertent les auteurs.

"Ces estimations accréditent la forte explosion de la consommation des psychostimulants observée ces dernières années: en vingt ans, le nombre de personnes ayant expérimenté la cocaïne a été multiplié par quatre", a déclaré le Dr Nicolas Prisse, président de la Mildeca, cité dans le communiqué de presse. "La spectaculaire progression du marché de la cocaïne, qui met à l'épreuve les forces de sécurité, la Justice, les professionnels de santé et tous nos territoires, souligne la nécessité de renforcer l'action publique, tant sur le volet de l'offre que de celui de la demande", a affirmé le Dr Prisse.

Autre source d'inquiétude mise en exergue par cette étude, la forte croissance du marché des autres psychostimulants, amphétamines et ecstasy/MDMA. "Les quantités consommées d'ecstasy/MDMA sont estimées à 65,6 millions de comprimés en 2023" (11,3 millions en 2010)" et "le chiffre d'affaires de ce marché, "bien moins élevé que celui de la cocaïne", enregistre "la plus forte hausse de toutes les drogues en valeur, avec 637% de croissance entre 2010 et 2023".

   AFP

 

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