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Dépendance : la CNSA lève le voile sur la rémunération des proches aidants

La CNSA rend public un travail de recherche sur les rémunérations et les statuts des aidants familiaux. La question est rarement abordée. Elle est pourtant loin d'être marginale : on peut estimer que "747.000 personnes [sont] rémunérées ou dédommagées en France pour l'aide consentie à un proche".

La CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) rend publics les résultats d'un travail de recherche mené depuis quatre ans par le Lise (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique), une unité mixte du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et du CNRS. Intitulée "Rémunérations et statut des aidants : parcours, transactions familiales et types d'usage des dispositifs d'aide", l'étude particulièrement dense (400 pages) a les qualités et les défauts d'un travail universitaire. Mais elle a surtout le mérite d'aborder une question quasiment taboue : celle de la rémunération des proches aidants. La question n'a rien d'anecdotique car, en s'appuyant sur l'enquête HSA de la Drees (Handicap-santé aidant informels), 9% des proches aidants déclaraient, en 2015, percevoir une rémunération ou un dédommagement. La CNSA en déduit que, "ramené à l'estimation du nombre d'aidants en France (8,3 millions en 2008), on peut avancer – avec prudence – le chiffre de 747.000 personnes rémunérées ou dédommagées en France pour l'aide consentie à un proche".

"L'ambivalence du discours institutionnel"

Par ailleurs, près de 60% du nombre total des heures d'aide humaine au titre de la PCH (prestation de compensation du handicap, financée par les départements) étaient attribués à des aidants familiaux de personnes en situation de handicap. Les chiffres sont en revanche plus incertains pour les proches aidants des bénéficiaires de l'APA (allocation personnalisée d'autonomie).

Face à cette réalité, l'étude souligne l'ambivalence du discours institutionnel. Jusqu'à une date récente, "dans les discours officiels, le rôle des proches n'est pas mis en avant de façon active, mais leur contribution semble résulter 'mécaniquement' des options premières que sont le maintien à domicile et le libre choix". Au fil des réformes (APA, loi Handicap et PCH, adaptation au vieillissement...), le "discours institutionnalisé de l'action publique en matière d'aidance" se focalise sur trois points : la reconnaissance d'un rôle et d'un statut pour les aidants, le soutien à ces derniers et la conciliation entre les fonctions d'aide et d'autres activités, dont le travail. La monétarisation de l'aide consentie par des proches se situe à l'intersection de ces trois piliers.

Sur le premier point, la possibilité ouverte à des proches aidants de bénéficier d'une monétarisation de l'aide qu'ils apportent à un proche, au titre de la PCH et de l'APA, constitue l'une des manifestations claires de leur reconnaissance, "mais aussi de leur enrôlement dans le système public de soins et d'accompagnement des personnes avec handicap et des personnes âgées en perte d'autonomie". La possibilité d'une rémunération des proches aidants avait toutefois été ouverte dès la loi Handicap du 30 juin 1975, dans le cadre de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), ancêtre de la PCH.

L'étude pointe également un double discours, celui du libre choix et celui de la conciliation, "liés par leur rattachement à une norme première dans le champ de l'action publique française : la présence des individus en âge de travailler sur le marché du travail n'est pas facultative". Conséquence : un investissement partiel dans une tâche d'aide implique pour les individus qu'ils soient en mesure de concilier leur activité d'aide avec leur activité professionnelle. Cette dimension a été intégrée à la conception de l'APA (2001), puis de la PCH (2005).

Une critique de la rémunération au nom de l'éthique

Pourtant, l'enquête menée auprès des acteurs montre qu'il existe "une critique de la rémunération des aidants au nom de l'éthique". Cette rémunération est en effet "suspectée d'altérer les relations familiales et d'introduire dans la sphère domestique des notions d'intérêt, voire de cupidité, là où la bienveillance, l'amour et le devoir moral devraient l'emporter". D'autres critiques mettent en avant le risque d'un désengagement de l'État, qui se défausserait sur les proches aidants, ou prendrait prétexte pour justifier une moindre allocation de moyens. Sur le terrain, les réactions des travailleurs sociaux et des acteurs associatifs sont toutefois plus pragmatiques.

Pour leur part, les proches aidants concernés doivent gérer cette relation ambivalente. Les entretiens menés par les chercheurs montrent d'ailleurs qu'ils ont du mal à qualifier leur travail de "care", d'autant plus que la relation n'offre pas le cadre juridique d'un travail "classique". Pour les aidants, "la rémunération et, donc, le statut plus ou moins 'complet' et protecteur qui l'accompagne, peut être facteur de protection et stabilisation, comme facteur de fragilisation".

Enfin, la rémunération joue inévitablement sur la relation aidant-aidé. Cette rémunération transforme en effet la relation, dans la mesure où "un grand nombre des aidants découvrent la possibilité d'une rétribution financière au moment de la réalisation du plan d'aide, alors qu'ils sont déjà engagés dans l'accompagnement de leur proche". La relation n'en est pas seulement profondément transformée ; elle s'inscrit dans l'histoire des familles et les relations qui les animent. La monétarisation a également un impact sur la nature de l'aide apportée : "Du point de vue du contenu de l'aide, la rémunération des proches est corrélée à une très forte implication qui se manifeste à la fois par le temps dédié à cette activité, par la diversité des tâches réalisées et par l'apprentissage de gestes techniques." Les résultats de cette étude originale feront l'objet d'un colloque, organisé le 16 janvier prochain au Cnam.

 

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