Lutte contre le narcotrafic : le Premier ministre sonne à son tour la "mobilisation générale"

Répondant à la demande du groupe socialiste, le Premier ministre a, dans une déclaration du gouvernement largement adoptée par les députés, présenté son plan de bataille face au fléau du narcotrafic, invitant à son tour à "la mobilisation générale". Un combat qu'il entend mener tous azimuts, même si les mesures législatives qu'il souhaite présenter au premier semestre 2026 relèvent du volet répressif. Elles devraient compléter celles de la loi "narcotrafic" d'avril dernier, dont une vingtaine de textes réglementaires devraient être pris "dans les prochaines semaines". De son côté, le député Roger Vicot plaide pour le "vote d'une grande loi de prévention, intégrant les dimensions sanitaires et sociales".

C'est accompagné de pas moins de neuf membres du gouvernement que le Premier ministre s'est présenté, ce 17 décembre, à l'Assemblée nationale, pour prononcer la déclaration du gouvernement sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée, suivie d'un débat et d'un vote, procédure constitutionnelle demandée par le groupe Socialistes et apparentés. 

"Mobilisation générale"

Une façon d'afficher sa volonté de mener contre "ce fléau" un combat tous azimuts, "politique, mais aussi culturel, sanitaire, éducatif, diplomatique et, en fin de chaîne, répressif". Et de répondre ainsi à la préconisation d'une "approche interministérielle, du très local à l'international" formulée par le chef de l'État lors du conseil des ministres du 19 novembre dernier. Face à la "guerre de mouvement" conduite par des acteurs "de plus en plus connectés à des filières et à des réseaux criminels internationaux", Sébastien Lecornu se dit lui-même convaincu "qu'il faut une rupture […] : soit la dépénalisation, soit la mobilisation générale". Le gouvernement refusant la première, c'est la seconde qu'il sonne.

Nouvelles mesures législatives au premier semestre

Cette dernière prendra notamment la forme, au premier semestre prochain, de "mesures législatives visant à adapter encore notre arsenal à cette menace, notamment l'alignement des réductions de peine et du régime de libération conditionnelle des narcotrafiquants sur celui des terroristes". Il proposera de même "la création d'une procédure administrative de saisie des biens somptuaires, sur le modèle de celle appliquée dans la lutte antiterroriste", qui n'est pas sans rappeler "l'injonction pour richesse inexpliquée" initialement préconisée par le rapport Blanc/Durain (lire notre article du 14 mai 2024), soutenue par Bruno Retailleau, alors ministre (lire notre article du 8 novembre 2024), mais qui avait été retoquée par l'Assemblée (lire notre article du 17 mars). Ces mesures pourraient prendre place dans le projet de loi "Sure" que le ministre de la Justice avait dévoilé cet été (lire notre article du 29 juillet).

De manière générale, le Premier ministre entend s'inspirer du cadre juridique relatif au terrorisme, comme l'a également recommandé Emmanuel Macron (lire notre article du 21 novembre). 

"Frapper les consommateurs au portefeuille"…

S'inscrivant toujours dans les pas du président de la République, qui avait dénoncé en novembre "les bourgeois des centres-villes qui financent les narcotrafics" – et du ministère de l'Intérieur (lire notre article du 6 février) –, Sébastien Lecornu entend "responsabiliser les consommateurs", en durcissant les sanctions à leur encontre. Le ministre de l'Intérieur a ainsi confirmé que, "comme le président de la République l'a annoncé hier [16 décembre, lors d'un échange avec des lecteurs de La Provence], nous défendrons le projet de porter à 500 euros" l'amende forfaitaire délictuelle encourue par les consommateurs de certains stupéfiants, "actuellement de 200 euros, 150 euros quand elle est payée immédiatement". Comme son prédécesseur, il entend "taper directement les consommateurs au portefeuille, eux qui portent une lourde responsabilité dans le développement du trafic". 

… et en prendre en même temps soin

Des consommateurs dont le gouvernement entend dans le même prendre soin. "La lutte contre le narcotrafic est un combat sociétal. Elle ne peut être menée uniquement sur le terrain régalien, les réponses du gouvernement doivent aussi être éducatives et obéir à une logique de prévention efficace", indique le Premier ministre. Non sans mentionner en premier lieu le combat "autour des établissements scolaires, en lien avec les collectivités locales et les services de police municipale". 

Pour renforcer la "conscience des risques", alors que "les passages aux urgences ont explosé", la ministre de la Santé prévient qu'une "grande campagne nationale de prévention, qui combinera marketing social et actions de terrain", sera lancée au premier trimestre 2026. Elle souhaite également "généraliser le programme Unplugged" ainsi que "la question de l'usage des stupéfiants dans le dispositif Mon bilan prévention", et plus largement "utiliser chaque interaction pour interroger les patients sur leurs habitudes et les inciter à adopter des modes de vie plus sains", via l'adoption de "l'approche Making Every Contact Count dans cent établissements de santé prioritaires" (la ministre de la Francophonie était absente).

5e plan de santé au travail mis à contribution

Rappelant que "le coût social des drogues est estimé à 7,7 milliards d'euros par an", le ministre du Travail et des Solidarités enseigne pour sa part que "le 5e plan Santé au travail qui doit être publié au semestre 2026 proposera de renforcer l'accompagnement des employeurs, de mobiliser davantage encore les services de prévention et de santé au travail pour sensibiliser les salariés, et d'améliorer la prise en charge des salariés consommateurs de stupéfiants", alors que "les médecins du travail évaluent à 7% la proportion de salariés souffrant d'une addiction au cannabis". Une prévention qui n'exclut pas "une part de contrôle", prévient néanmoins Jean-Pierre Farandou, en soulignant "que les employeurs peuvent déjà organiser des dépistages inopinés si le règlement intérieur de leur entreprise le prévoit, et pour des postes qui le justifient". 

La diplomatie, continuation de la guerre par d'autres moyens

Contre le narcotrafic, Sébastien Lecornu entend également mener un combat diplomatique, à l'échelle européenne en premier lieu : "Nous devons […] harmoniser les règles en vigueur sans les Vingt-Sept" et "également mieux coordonner nos services d'enquête et mieux protéger nos frontières, en particulier nos ports et nos aéroports". En l'espèce, la ministre de l'Action et des Comptes publics annonce "davantage de scanners dans les ports – à Marseille, au Havre, à Dunkerque, à Fort-de-France –, dans les aéroports et sur les flux postaux que nous scannerons désormais à 100%". 

Jean-Noël Barrot précise que le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères va "déployer dans les douze prochains mois un plan de bataille contre les trafiquants", comprenant : la multiplication des accords de coopération sécuritaire avec les pays de production, de transit et de rebond ; le renforcement, dans les pays concernés, des effectifs [des ministères] de l'Europe, de l'intérieur, des armés et de la justice ; la réorientation de l’aide publique au développement vers les cultures de substitution ; les projets de lutte contre le blanchiment d’argent ou la sécurisation des ports ; enfin, un régime de sanctions européen contre les criminels réfugiés à l’étranger et impliqués dans le trafic de drogue, le trafic d’armes et la traite d’êtres humains. 

Une vingtaine de textes réglementaires à l'approche

Dans l'attente des nouvelles mesures législatives évoquées, reste déjà à adopter plusieurs mesures réglementaires. "Pourquoi, six mois après le vote de la loi [narcotrafic], seuls cinq décrets d'application sur quarante-deux ont été pris ?", interroge le député Roger Vicot (Nord, Soc.), tout en concédant que "certains de ces décrets concernent les années 2026, voire 2027". "Une vingtaine de textes réglementaires seront pris dans les prochaines semaines, pour qu’elle s’applique en totalité, conformément au calendrier fixé", avait préalablement indiqué Sébastien Lecornu. Parmi ceux-ci, figure le décret d'application relatif au statut de collaborateur de justice, qui vise à préserver l'anonymat des repentis. Il "sera pris avant la mi-janvier", assure Gérald Darmanin. Ce dernier fait en outre valoir que le parquet national anti-criminalité organisée sera installé le 5 janvier prochain. Amélie de Montchalin fait de même en indiquant que "dès janvier prochain, la nouvelle procédure de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants entrera en vigueur".

Dans l'attente d'une "grande loi de prévention" ?

"Parallèlement à l'application de la loi narcotrafic", Roger Vicot appelle également "au vote d'une grande loi de prévention intégrant les dimensions sanitaires et sociales du phénomène, inspirée de la multitude d'initiatives […] aux niveaux associatif et municipal, après que leurs résultats auront été analysés et structurés, et en associant les conseils départementaux, ainsi bien sûr que les associations d'élus". Une proposition qui avait notamment été promue lors de la 2e"biennale de la sécurité" organisée par France urbaine au printemps. Le sénateur Étienne Blanc suggérait alors que la commission des affaires sociales du Sénat se saisisse du sujet (lire notre article du 18 mars). Un appel resté lettre morte jusqu'ici.

 

À l'issue des débats, 394 députés (457 votants, 455 exprimés) se sont exprimés en faveur de la déclaration du Premier ministre, 61 votant contre.

 

 

 

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