Politique de cohésion post-2027 : la Cour des comptes européenne dresse ses recommandations
La Cour des comptes européenne vient de publier une synthèse de ses recommandations sur les contours de la politique de cohésion post-2027. Sa teneur devrait davantage ravir les autorités de gestion que la Commission.

© European Court of Auditors et DR
La Cour des comptes européenne vient de publier, ce 19 juin, ses recommandations sur la politique de cohésion post-2027, sous la forme d'une synthèse enrichie reprenant celles égrenées au gré de ses récents rapports consacrés à cette politique ou à la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), dont la Commission entend fortement s'inspirer. L'occasion pour la Cour de marteler un certain nombre de messages, à commencer par un appel à ne pas "miner" l'objectif essentiel – au sens philosophique du terme – de cette politique, soit "renforcer la cohésion européenne et réduire les disparités entre régions", en l'utilisant comme succédané pour résoudre les crises de court terme.
Risque accru d'une politique de cohésion dévoyée
Une voie dont elle souligne de nouveau qu'elle n'est pas sans risques (lire notre article du 3 février 2023), singulièrement pour les régions les moins développées qui "dépendent davantage" de la politique de cohésion que les régions les plus développées, lesquelles sont "plus performantes dans les appels hautement concurrentiels pour l'accès aux fonds sous gestion directe" de la Commission, tel le programme Horizon Europe. Alors que, dans la foulée du rapport Draghi (lire notre article du 10 septembre), la tendance est à "faire de la politique de cohésion un élément de compétitivité" (lire notre article du 23 février 2024), la Cour des comptes observe ainsi que "la politique de cohésion 2021-27 se concentre déjà sur l'investissement dans des domaines clés importants pour la compétitivité, y compris l'innovation, la décarbonisation et les compétences" et que "le soutien à la cohésion est donc important pour accroître la compétitivité" des régions les moins développées.
D'où, insiste la Cour, la nécessité de cesser d'élargir les objectifs de la politique de cohésion, au risque "d'affaiblir son approche territoriale" et d'amoindrir "son efficacité dans la réduction des disparités régionales". Une voie pourtant ancienne et particulièrement usitée ces derniers temps, y compris en cours de programmation. La Cour note ainsi que les autorités de gestion ont modifié leurs programmes en moyenne 8,2 fois sur la période 2024-2020, contre 1,3 fois lors de la programmation précédente, évoquant par ailleurs pour 2021-2027 les prises en compte successives de React-EU, CRII, CRII+, Care, Care + et la FRR. Une liste non exhaustive, à laquelle il faut notamment ajouter la révision à mi-parcours en cours d'examen – le Conseil de l'UE a arrêté sa position sur le texte en Coreper ce 18 juin –, laquelle n'emballe toujours pas la Cour (lire notre article du 23 février). Un processus de reprogrammation qui, en outre, alourdit la charge administrative de ces autorités, alerte-t-elle à nouveau (lire notre article du 20 janvier 2023).
Autorité de gestion : programmer ni trop tôt, ni trop tard
Pour éviter de remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier tout en restant flexible pour être en mesure de répondre aux besoins émergents, la Cour suggère au passage de ne pas programmer tous les fonds dans les premières années de la programmation. On le constate en ce moment, avec l'impossibilité qu'ont certaines régions de se saisir des souplesses introduites par la révision à mi-parcours de cette politique, faute de fonds encore disponibles (lire notre article du 2 avril). Le tout reste néanmoins affaire de doigté, puisque la Cour juge par ailleurs "crucial que les autorités de gestion évitent les situations où des montants importants de fonds doivent être absorbés en fin de programmation", au risque de valider des projets sans réelle valeur ajoutée ou de piètre qualité. Un écueil d'autant plus prégnant que la Cour relève "que le cadre législatif sur la cohésion, les accords de partenariat et les programmes sont approuvés de plus en plus tard". Ce fut singulièrement le cas avec la programmation 2021-27, la Cour observant d'ailleurs que "les taux d'absorption […] sont légèrement plus faibles" au cours des premières années de cette dernière au regard des précédentes ("à cause de la FRR", précise-t-elle). La Cour suggère en conséquence d'adopter cette fois le cadre législatif "suffisamment tôt" pour permettre une mise en œuvre "opportune" des programmes, en octroyant en outre aux États membres "des niveaux de préfinancement adéquats" pour faciliter leur mise en mouvement.
Une politique à réellement fonder sur la "performance"
Dans cette synthèse, la Cour invite naturellement de nouveau à renforcer la performance des financements de cette politique – thème en vogue. Elle se montre de même favorable à renforcer le lien avec les "réformes structurelles" des États membres (lire notre article du 19 avril 2024), non sans souligner au passage que, "dans une certaine mesure", c'est déjà le cas. Mais elle met encore en relief ses divergences avec l'orientation suivie par la Commission, notamment à l'égard des vertus que prête cette dernière à la FRR (lire notre article du 18 juin et celui du 6 septembre 2024). À mots couverts, la Cour semble ainsi prendre ses distances avec le "plan national unique" envisagé par la Commission (lire notre article du 30 avril) – comme d'autres ("Le budget de l'UE n'est pas une machine à cash pour les États membres", a ainsi dénoncé ce 18 juin le groupe PPE du Parlement européen). Elle souligne que la politique de cohésion doit rester "enracinée dans les besoins et les stratégies de développement de chaque région, conformément au principe de partenariat". Aussi préconise-t-elle de "tenir compte du contexte de chaque région" pour définir les réformes à mettre en œuvre et de "concentrer les investissements sur le potentiel économique spécifique inexploité" de chacune d'entre elles. Elle invite en outre à veiller "à ce que réformes et investissements soient définis au même niveau (national ou régional) afin que les paiements aux régions ne dépendent pas de la mise en œuvre réussie des réformes nationales". Elle rappelle encore la nécessité d'analyser la performance via des obligations de résultat, et non de moyens, non sans inviter également à renforcer des systèmes de contrôle des dépenses jugés insuffisamment efficaces (lire notre article du 9 juillet 2024). Par ailleurs, pour limiter la charge administrative – source d'erreurs –, elle invite derechef à "reconsidérer les règles spécifiques de la politique de cohésion de l'UE, les règles transversales de l'UE applicables à la politique et les règles supplémentaires imposées par les États membres et les régions". Mais aussi à "stimuler l'utilisation des options de coûts simplifiées", déplorant au passage que "leur appropriation par les autorités de gestion reste limitée, en particulier dans le cadre du Feder". Une réticence que d'aucuns expliquent précisément par l'attitude de la Cour (lire notre article du 21 mars).