Santé mentale et handicap : la commission d'enquête appelle à s'appuyer sur l'évaluation d'impact pour investir dans la prévention

Des "défaillances criantes" existent dans la prise en charge de la santé mentale et du handicap, confirme ce 17 décembre la commission d'enquête parlementaire qui a travaillé plusieurs mois sur ces deux politiques. Décryptage avec son rapporteur, le député socialiste Sébastien Saint-Pasteur, qui plaide pour que le pilotage de ces politiques soit guidé par l'évaluation d'impact et l'approche par les coûts évités. Ceci pour financer les dispositifs de prévention qui fonctionnent et, plus globalement, pour "dépenser mieux". Est ainsi préconisée la création d'une "agence nationale de l’étude d’impact", dont le premier chantier serait d'évaluer la politique de santé mentale, dans le cadre de la deuxième année de grande cause nationale. 

Sur le handicap et la santé mentale, les rapports, notamment parlementaires, se sont multipliés en cette année de grande cause nationale autour de la santé mentale (voir notre article) et de vingtième anniversaire de la loi de 2005 sur le handicap (voir notre article). 

Dévoilé ce 17 décembre 2025, le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur "les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société" achève cette année de travaux. Hasard du calendrier, sa présentation intervient au lendemain de la mobilisation des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH, voir notre article). Le travail de la commission d'enquête aura permis d'obtenir des chiffres plus précis sur les carences en la matière (voir notre article), d'"établir la liste des rectorats les plus défaillants et de mener cette classe action, qui est une première sur le sujet", souligne le rapporteur Sébastien Saint-Pasteur (Socialiste, Gironde), interrogé par Localtis. 

Des "défaillances criantes" et un niveau élevé de dépenses publiques 

Le diagnostic de la commission d'enquête diffère peu des analyses qui l'ont précédé. "La santé mentale se dégrade particulièrement chez les jeunes et les personnes âgées. Les parcours sont complexes" et le secteur souffre d'un "manque de professionnels", ces derniers étant inégalement répartis, résume en ouverture du rapport Nicole Dubré-Chirat (EPR, Maine-et-Loire), présidente de la commission d'enquête, qui alertait déjà il y a un an sur la situation critique des urgences psychiatriques (voir notre article). "Concernant le volet handicap, le chemin est rempli d’obstacles pour les familles et manque de lisibilité", ajoute-t-elle. 

Ces deux domaines, qui se recoupent en partie, présentent des similitudes, selon le rapport. En premier lieu : "des défaillances criantes" dans la prise en charge, tant au niveau quantitatif que qualitatif, liées notamment à un déficit de stratégie, alors même que les dépenses sont massives. Pour la santé mentale : 27,8 milliards d'euros de dépenses de santé directes en 2023 (dont 8,3 milliards d'euros de psychotropes), en très forte hausse depuis 2019 (+22,5%) après plusieurs années de stabilité. La psychiatrie est actuellement "la deuxième catégorie pathologique la plus coûteuse pour l’assurance maladie, après les maladies cardiovasculaires (29 milliards d’euros) et devant les cancers (27 milliards d’euros)", est-il souligné. Concernant le handicap, l'effort national en faveur du soutien à l’autonomie des personnes (ENSA-PH) a atteint 64,5 milliards d'euros en 2024, en augmentation de 40,8% en 14 ans et en progression annuelle de 2,5%. 

Adopter une culture de l’évaluation d’impact et des coûts évités

Face à ces montants, "j'ai été heurté par l'absence d'analyse, d'évaluation, d'approche sur l'efficience de ces politiques publiques, d'autant plus que tout le monde converge sur la nécessité de travailler la prévention plus fortement", indique à Localtis Sébastien Saint-Pasteur. "On a des dispositifs locaux qui fonctionnent mais qui ne font pas l'objet d'un essaimage dans le domaine de la prévention et c'est regrettable", poursuit-il. 

Le rapport comporte donc des propositions, qu'on a pu lire dans d'autres publications, pour "investir dans la prévention" ("notamment à la maternité, à l’école et auprès des personnes âgées", en renforçant la médecine scolaire, etc.) et "organiser l’offre de soins en fonction des réalités territoriales". 

La commission d'enquête appelle surtout à "adopter la culture de l’évaluation, de l’étude d’impact et des coûts évités", par la création d'une "agence nationale de l’étude d’impact" qui stabiliserait des méthodologies et mobiliserait "les ressources existantes de façon pluridisciplinaire". "Dans un contexte budgétaire contraint", une telle approche "plus présente notamment dans les pays anglo-saxons" permettrait "de mieux fléchir la dépense publique et d'avoir plus de résultats", de limiter notamment le recours à l'hospitalisation, insiste le député. Pour ce dernier, "ce n'est pas dépenser moins ou plus, la vraie question c'est comment on dépense mieux". 

Le premier chantier de cette agence porterait sur "une évaluation profonde et systémique de la question de la santé mentale à l’occasion de la prolongation de la grande cause nationale" (voir notre article). Sur le dispositif "Mon soutien psy" par exemple, "si on réorientait ce dispositif pour qu'il soit plus efficace et qu'il cible plus pertinemment les personnes qui en ont le plus besoin, on pourrait avoir un effet de levier plus important", estime le rapporteur. 

Handicap : un tableau de bord performant et une PCH refondue 

En matière de handicap, l'une des priorités serait de "mettre en place un tableau de bord national et décliné localement rassemblant les données issues des MDPH [maisons départementales des personnes handicapées], de l’Éducation nationale, de l’Assurance maladie, des acteurs de l’emploi et de l’ensemble des opérateurs, avec des indicateurs homogènes sur les délais, les notifications, les listes d’attente, l’offre de soins et de services et les ruptures de parcours". Un chantier au long cours sur lequel la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) avance avec la création, par le décret du 10 décembre 2025, du "système d'information commun pour l'évaluation des besoins des personnes en situation de handicap" (SI-évaluation). Au-delà, le "cloisonnement" entre une multiplicité de systèmes d'information reste une réalité et l'interopérabilité un défi. 

Autre préconisation sur le handicap : "penser une refonte profonde des modalités de financement de la prestation de compensation du handicap (PCH) afin de ne pas les rendre insoutenables pour les conseils départementaux". "La PCH aujourd'hui, c'est un palliatif du déficit d'offre de services dans le médicosocial, dont une certaine partie relève de l'État", commente Sébastien Saint-Pasteur, qui pointe "une vraie injustice d'un point de vue économique entre un département qui est carencé et un qui ne l'est pas". Le député appelle donc à la vigilance dans l'appréciation des disparités territoriales et l'éventuel "réajustement" qui pourrait en découler. 

Inclusion scolaire : pour "une approche plus pragmatique"

Le rapport appelle plus largement à "investir davantage dans l'accès à l'autonomie réelle", avec des propositions qui ont trait à l'emploi, le logement ou encore le déploiement de plateformes de services médicosociaux (voir notre article). 

Une série de propositions portent par ailleurs sur l'inclusion scolaire : introduction d'une "notion d’aménagements raisonnables à l’école, sans intervention préalable de la MDPH, en fonction des prescriptions médicales et paramédicales", création d'un statut pour les AESH avec une "amplification de leurs missions autour des enjeux de coordination des parcours", établissement de "grandes typologies de besoins éducatifs" ou encore d'une "méthodologie plus lisible et opérationnelle" permettant de définir des parcours d’inclusion optimisés et d'adapter l'environnement scolaire, y compris en modulant les effectifs… Ces pistes plaident pour un changement de perspective en faveur d'"une approche plus pragmatique, effective et proche des familles". 

La "gouvernance dispersée" du handicap "complexifie le pilotage" de cette politique, pointe encore la commission d'enquête. Cette dernière n'a toutefois pas formulé de proposition qui irait dans le sens d'un approfondissement de la décentralisation tel que le souhaite le Premier ministre, Sébastien Lecornu, (voir notre article) ou au contraire d'un renforcement du pilotage national. Seule certitude du rapporteur, qui se dit à titre personnel "girondin" : "Il faut forcément de la coordination, c'est l'une des clés de la réussite de l'accompagnement des parcours." 

 

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