Vers un renouveau de l'aménagement du territoire ?
Malgré les nombreux programmes de revitalisation (tous reconduits après les municipales), les fractures territoriales restent profondes et la situation industrielle ne va pas arranger les choses. La cohésion sociale s'impose comme un enjeu des élections de mars, rendant d'autant plus pressante la nécessité d'un nouveau cap pour l'aménagement du territoire. Le rapport confié à l'ancienne ministre Dominique Faure sera remis en janvier.
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2025 aura été une gare de transit pour l’aménagement du territoire en attendant des jours meilleurs. Instabilité gouvernementale oblige, rien n’a émergé dans cette fin de mandat marqué par une succession de crises : sanitaire, énergétique, inflationniste, budgétaire… D’ailleurs l’aménagement du territoire existe-t-il toujours ? C’est pour le ressusciter que le Cercle pour l’aménagement du territoire s’était constitué il y a deux ans dans une ambiance d’association d’anciens combattants. Et c’est dans les locaux de ce même Cercle que l’ancienne ministre Dominique Faure, chargée par le gouvernement de jeter les bases d’une nouvelle stratégie à quinze ans, a dévoilé ses pistes… Rien de bien révolutionnaire à ce stade. Il faudra attendre le rapport qui devrait être remis à la ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation, Françoise Gatel, en janvier, pour en savoir plus.
Reconduction des programmes nationaux
Derrière cette stratégie nationale se pose déjà la question du renouvellement de la politique contractuelle de l’État, les CPER (contrats de plan État-région), mais aussi les CRTE (contrats pour la réussite de la transition écologique), dont une nouvelle génération va arriver après les élections municipales, et leur articulation avec l’ensemble des programmes nationaux : Action cœur de ville (ACV), Petites Villes de demain (PVD), Avenir montagnes, Villages d’avenir, Territoires d’industrie… Des programmes dont – au fil des congrès des associations d’élus – on a appris la prolongation après les municipales. À Saint-Rémy-de-Provence, au terme d’un discours crépusculaire, François Bayrou a annoncé la reconduction du programme PVD pour les petites villes. Au côté de celui qui allait devenir son ministre de la Ruralité, Michel Fournier, Françoise Gatel a assuré dans les Vosges, le 20 juin, que France ruralités allait se poursuivre, avec le programme Villages d’avenir, dernier né de cette fratrie de programmes de revitalisation. Et, plus récemment, lors du dernier Congrès des maires, Sébastien Lecornu a confirmé qu’Action cœur de ville serait maintenu après les municipales, avec le retour en grâce de la redynamisation des commerces. Il y a urgence avec l’avalanche de faillites des enseignes du prêt-à-porter qui animaient les rues de ces villes sous-préfectures. Le dossier a été confié à Michel Fournier et Serge Papin, le ministre du Commerce, qui est à la manœuvre depuis plusieurs semaines sur le dossier "Shein". Ce dernier a d’ores et déjà annoncé que le rapport sur le commerce de proximité rédigé par Frédérique Macarez, maire LR de Saint-Quentin (Aisne), Dominique Schelcher, PDG de Coopérative U, et Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des Territoires, lui servirait de "feuille de route".
Un "acte III" pour la loi Montagne
La Banque des Territoires se tient prête. Elle a décidé une enveloppe de 200 millions d’euros supplémentaires pour son plan Commerce, notamment pour renforcer le soutien aux foncières de redynamisation (100 millions d’euros) et aux managers de commerce (20 millions d’euros). Outre le commerce, le logement, la renaturation et le grand âge et la santé seront les quatre priorités de l’institution pour la poursuite d’ACV, comme l’a annoncé Antoine Saintoyant, lors des 7es Rencontres cœur de villes à Chambéry. La Cité des Ducs prouve qu’il n'y pas de fatalité : le taux de vacance commerciale y est passé de 15,8% en 2020 à 8,3%, selon son maire, Thierry Repentin.
Les montagnards aussi attendent impatiemment la suite d’Avenir montagnes qui se termine cette année. Le gouvernement, l’Association des élus de la montagne (Anem) et le Conseil national de la montagne travaillent ensemble à une nouvelle feuille de route. Et à la rédaction d’un Acte III de la loi Montagne (après les lois de 1985 et 2016) qui tienne compte des effets du changement climatique. Le texte est attendu au premier semestre 2026. Là encore, la Caisse des Dépôts a pris les devants en annonçant, à l’occasion du dernier congrès de l'Anem, son propre dispositif doté de six milliards d'euros d'ici à 2030…
"Sortir du chacun pour soi territorial"
Il reste que cet empilement de programmes - dont il faudra préciser les futurs financements et le contenu - ne constitue pas une politique d’aménagement du territoire. Au moins l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) – lointaine descendante de la Datar - chargée de les piloter, a-t-elle échappé à la fièvre de tronçonneuse qui s’était emparée des parlementaires au mois de mars… De nombreuses réflexions sont venues alimenter le débat ces dernières semaines. "Cette partition par taille, en miroir à l’organisation des associations d’élus locaux, présente deux limites : ses effets d’entraînement sont faibles ; elle évacue les potentiels de mutation liés aux interdépendances territoriales", estime Jean-Marc Offner, président de l'École urbaine de Sciences Po, dans une note pour Terra Nova sur le "périurbain".
Le géographe Achille Warnant invite pour sa part à "sortir du chacun pour soi territorial" et de "l’attractivité à tout prix". Il lui préfère "l’habitabilité territoriale" au regard de laquelle la décroissance démographique n’est pas forcément un handicap. Constatant que le programme Petites Villes de demain a pu exacerber les tensions entre centralités et périphérie, le Sénat propose, lui, de travailler à une "échelle territoriale plus vaste", au niveau des intercommunalités ou des pôles d’équilibres territoriaux par exemple, en lançant à partir de 2028 des "Territoires de demain"…
Sentiment d'abandon
Malgré ces programmes de revitalisation, auxquels il faudrait ajouter le déploiement du réseau France services, le sentiment d’abandon reste vivace dans la ruralité et a même tendance à se renforcer. La situation industrielle avec la cascade de plans sociaux n’y est pas étrangère. 70% de l’industrie réside dans des communes de moins de 20.000 habitants, rappelle l’Association des petites villes de France (APVF) dont le président a interpellé le Premier ministre, le 17 décembre, l’appelant à bâtir de "nouvelles pratiques" avec les collectivités sur le foncier, l’énergie, la commande publique, la formation... Intercommunalités de France ramène de son côté le débat budgétaire à l’industrie : la version du budget votée par le Sénat (avant l'échec de la CMP) faisait peser "sur les seules intercommunalités la majorité (51%) de l’effort prévu pour les collectivités", pénalisant "en particulier les territoires industriels même les plus vulnérables économiquement", fait valoir l'association qui s'inquiète des fractures territoriales et sociales. "Des ruralités aux métropoles : faire France ensemble", tel était le slogan de sa convention nationale à Toulouse au mois d'octobre. Il y a été question du sentiment de relégation ou d'abandon et de la nécessité de mener les politiques de transition écologique "avec les habitants". La cohésion sociale sera l'un des premiers enjeux du mandat à venir, estiment les intercommunalités. Ce sentiment d'abandon, les élus de petites communes le vivent aussi lorsqu'il s'agit d'accéder à "l'ingénierie" pour monter leurs projets. Ce sera aussi un enjeu pour les futurs maires.